4juillet 2024

 

 

 

À la suite d’une décision novatrice du Conseil constitutionnel du 8 décembre 2023, le premier semestre de l’année 2024 a vu plusieurs juridictions administratives examiner la légalité de procédures disciplinaires à la lumière d’une nouvelle obligation : celle de notifier à l’agent poursuivi son droit de se taire.

 

Le 8 décembre 2023, le Conseil constitutionnel a jugé dans l’un des motifs de sa décision n°2023-1074, que le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser et dispose donc du droit de se taire, trouve à s’appliquer non seulement en matière pénale mais aussi en matière disciplinaire (en l’espèce, discipline des notaires) :

« 9. Aux termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. (…) »

Le Conseil constitutionnel a ajouté que la personne poursuivie doit être informée de son droit de se taire :

« Ces exigences (…) impliquent que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire. »

Ainsi, le droit de se taire et d’en être informé dans le cadre d’une procédure disciplinaire a été consacré comme droit à valeur constitutionnelle.

L’appropriation de cette décision par les juridictions administratives ne s’est pas fait attendre, puisque le premier semestre 2024 a donné l’occasion à plusieurs d’entre elles d’examiner la régularité de procédures disciplinaires diligentées contre des professionnels, agents publics ou non, à la lumière de ce nouveau droit.

À titre d’exemple, le 1er février 2024, dans une ordonnance n°2400163, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a ordonné la suspension d’une décision de retrait temporaire de la carte professionnelle d’un chauffeur de taxi au motif que ce dernier n’avait pas été informé au cours de la procédure de son droit de garer le silence :

« 13. Dès lors que la lettre de convocation adressée le 24 août 2023 n’a pas informé M. A préalablement à sa comparution devant la commission de discipline le 14 septembre 2023 du droit qu’il avait de se taire, la décision est entachée d’un vice dans la procédure administrative préalable. Eu égard à l’obligation pour le conducteur de taxi de se présenter personnellement en vertu de l’article 6 de l’arrêté n° 2022-0453 du 5 mai 2022 sous peine d’ un avis rendu par défaut à l’encontre du conducteur prévu à son article 7 et aux pouvoirs très étendus des membres de la commission qui peuvent poser des questions aux conducteurs, convoquer des experts, des témoins et des plaignants et procéder à une confrontation des témoins ou des plaignants en vertu de son article 10, l’information préalable du droit à garder le silence devant cette commission de discipline constitue une garantie. Par suite, le vice affectant le déroulement de la procédure administrative préalable suivie à titre obligatoire à l’encontre de M. A est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité la décision. »

Le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Martin a statué dans le même sens dans une ordonnance n°2400061 du 31 mai 2024 par laquelle il a suspendu le licenciement disciplinaire d’un agent territorial :

« 5. En l’espèce, Mme A soutient, sans être contredite par la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin, qu’elle n’a pas été informée du droit qu’elle avait de se taire lors de la procédure disciplinaire. Dès lors, ce moyen est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision prononçant le licenciement de Mme A dans la mesure où elle est intervenue, du fait de la privation de cette garantie, au terme d’une procédure irrégulière. Il y a donc lieu d’ordonner la suspension de l’exécution de cette décision au plus tard jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la requête enregistrée sous le n° 2400058. »

Du côté des juridictions du fond, le 2 avril 2024 c’est la cour administrative d’appel de Paris qui, dans un arrêt n°22PA03578, a annulé une sanction d’exclusion temporaire de fonctions prise à l’encontre d’un agent hospitalier, faute pour son employeur de démontrer qu’il avait informé l’agent de son droit de se taire au cours de la procédure disciplinaire :

« 3. En l’espèce, M. A… soutient sans être contredit par le groupe hospitalier universitaire Paris Psychiatrie et Neurosciences, lequel n’a d’ailleurs pas produit de mémoire en défense, qu’il n’a pas été informé du droit qu’il avait de se taire lors de la procédure disciplinaire. Dès lors, M. A… est fondé à soutenir que, du fait de la privation de cette garantie, la sanction disciplinaire litigieuse est intervenue au terme d’une procédure irrégulière et doit être annulée. »

On peut le constater, il s’agit d’un moyen jusqu’à présent imparable si l’employeur n’est pas en mesure de démontrer que le professionnel poursuivi a été informé du droit de se taire.

Il est à cet égard intéressant de noter que le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a jugé dans une ordonnance n°2401810 du 10 avril 2024, que l’information du professionnel sur son droit de se taire pouvait valablement être donnée non pas nécessairement par l’employeur, mais par le président du conseil de discipline :

« 6. En l’état de l’instruction, au vu de la demande et des éléments versés au dossier par La Poste, aucun des moyens invoqués par M. B à l’encontre de la décision contestée tels qu’ils ont été visés ci-dessus, n’apparaît de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité, étant précisé qu’il ressort des termes du procès-verbal du conseil central de discipline que l’intéressé a été informé à l’ouverture de la séance, par son président, du droit qu’il avait de répondre aux questions des membres du conseil ou de se taire. »

Néanmoins, afin de garantir la notification de ce droit dans l’intérêt du professionnel poursuivi et pour assurer la régularité de la procédure disciplinaire, il est conseillé que l’employeur procède lui-même à cette notification.

Désormais, à l’enclenchement d’une procédure disciplinaire il est donc indispensable de notifier à l’agent poursuivi son droit de se taire, au même titre que lui sont notifiés ses droits à prendre connaissance de son dossier individuel ou à être assisté des défenseurs de son choix.

Cabinet Coudray
Sébastien DUGUÉ
Publié le 04/07/2024 dans # Veille juridique