6mars 2024

 

 

 

Une réponse ministérielle publiée le 4 janvier dernier revient sur la question de l’emploi des collaborateurs de cabinet des exécutifs locaux, à la suite d’un jugement correctionnel rendu en 2023 par le tribunal judiciaire de Paris qui a pu susciter interrogations et inquiétudes dans les collectivités territoriales (Question écrite n° 07918 de M. CORBISEZ Jean-Pierre, réponse ministérielle publiée au JO Sénat du 04/01/2024, p. 21).

Le tribunal judiciaire de Paris a condamné le 29 mars 2023 un président de département et son directeur de cabinet comme auteur et complice de détournement de fonds publics par personne dépositaire de l’autorité publique, infraction prévue à l’article 432-15 du code pénal, dans une affaire où était en cause la définition des emplois de cabinet (T. corr. Paris, 32e ch., 29 mars 2023).

En l’espèce, un rapport de la chambre régionale et territoriale des comptes (CRTC) d’Île-de-France avait constaté des faits susceptibles d’être qualifiés de détournement de fonds publics : 29 agents avaient été recrutés par la collectivité et placés à la « questure », service administratif distinct du cabinet et dont l’objet était d’assister les vice-présidents dans l’exercice de leurs fonctions.

Le rapport indiquait que la questure était en réalité « une extension du cabinet du président » portant le nombre de collaborateurs de cabinet au-delà du maximum légal (qui s’apprécie en fonction de l’importance démographique de la collectivité, cf. art. L.133-9 du code général de la fonction publique).

La question posée au tribunal était celle de savoir si “ces emplois administratifs, qualifiés de collaborateurs d’élu avaient été détournés (…) pour servir une fin politique étrangère à celle pour laquelle ils ont été créés” (p. 27 du jugement).

Recourant à la méthode du faisceau d’indices afin de donner à ces emplois leur exacte qualification, le juge répressif a répondu par l’affirmative.

Corroborant le rapport de la CRTC, il a notamment constaté que les agents avaient été recrutés sur décisions du président du Département, qu’ils étaient placés sous l’autorité hiérarchique directe de celui-ci et non du directeur général des services (DGS) et qu’ils avaient pour mission d’assister les vice-présidents dans leurs fonctions politiques (rédaction des discours, réponses aux sollicitations…).

Le Tribunal a dès lors considéré que les agents de la questure exerçaient des fonctions identiques à celles des collaborateurs de cabinet du président et que l’organisation de la questure permettait en réalité de créer, au sein des services, des postes de cabinet au-delà du maximum légal : “ des emplois administratifs doivent être regardés comme détournés de cette finalité, lorsque, hors des cas prévus par la loi, le recrutement, les missions et l’évaluation des agents les occupant, soustraits à la hiérarchie administrative, relèvent exclusivement de l’autorité politique, de ses collaborateurs de cabinet ou des élus disposant d’une délégation de fonctions”.

Le Tribunal a par conséquent condamné le président du conseil départemental et son directeur de cabinet respectivement à 10 000 et 8 000 euros d’amende pour détournement de fonds publics et complicité de ce délit.

Cette condamnation rappelle la nécessaire vigilance dans l’utilisation des collaborateurs de cabinet par les exécutifs locaux et invite à questionner certaines organisations.

La loi ne définissant pas les fonctions des collaborateurs de cabinet, c’est la jurisprudence qui en a posé les contours.

Les emplois de collaborateurs de cabinet se distinguent au sein de la collectivité par « l’engagement personnel et déclaré au service des principes et objectifs guidant l’action politique de l’exécutif territorial​ » et la relation de confiance personnelle avec ce dernier (président, maire) d’une nature différente de celle résultant de la subordination hiérarchique du fonctionnaire envers son supérieur​ (CE, 26 janv. 2011, Assemblée de Polynésie française, n° 329237).​

Le juge s’attache à la réalité des fonctions et peut qualifier de collaborateur de cabinet un agent recruté comme attaché contractuel lorsque ses missions sont principalement politiques et non administratives (CE, 26 mai 2008, Département de l’Allier, n° 288104).​

Inversement, le régime de collaborateur de cabinet ne doit pas être utilisé afin de pourvoir des emplois permanents de la collectivité et le cabinet n’a pas vocation à gérer des services administratifs, ce rôle relevant du DGS en vertu de l’article 2 du décret n° 87-1101 du 30 décembre 1987 (Question n° 20328, rép. min. publiée au JO Sénat du 18/03/2021, p. 1826).

Toutefois, comme rappelé dans la réponse ministérielle, ces règles n’excluent pas par principe l’exercice par le directeur de cabinet d’une autorité fonctionnelle sur certains services de la collectivité qui concourent à l’exercice des missions de l’exécutif local.

Il en va ainsi, évidemment, du secrétariat de l’exécutif et plus généralement des moyens nécessaires au fonctionnement du cabinet.

Ce peut être également le cas du service communication. Dans ce domaine, attention toutefois à la frontière parfois délicate entre ce qui relève de la communication institutionnelle, service administratif susceptible d’être placé sous l’autorité fonctionnelle du cabinet, et ce qui tient de la communication personnelle de l’élu (réseaux sociaux…), davantage susceptible de relever d’un emploi de collaborateur de cabinet.

Afin de parer aux risques de requalifications de certains postes en emplois de cabinet, on recommandera de prévoir, pour les agents n’ayant pas le statut de collaborateur de cabinet mais placés sous l’autorité fonctionnelle du cabinet, un rattachement hiérarchique au DGS conformément à l’article 2 du décret du 30 décembre 1987, passant notamment par la conduite de l’entretien professionnel.

Cabinet Coudray
Ludovic DUFOUR
Publié le 06/03/2024 dans # Veille juridique