5avril 2022

Par une décision rendue le 11 mars 2022, le Conseil d’État apporte des éclairages sur les conséquences de l’illégalité d’une clause interdisant la création d’un fonds de commerce sur la validité du contrat d’occupation du domaine public.

En l’espèce, deux restaurateurs installés sur la commune du Cap-D’ail étaient bénéficiaires d’une convention d’occupation temporaire (COT) du domaine public, conclue en 1995. C’est son renouvellement en 2016 pour une durée de cinq ans qui fait l’objet du présent contentieux.

En effet, les titulaires de cette convention ont saisi le tribunal administratif de Nice d’une demande tendant, à titre principal, à ce qu’il prononce l’annulation de cette convention et, à titre subsidiaire, à ce qu’il annule certaines clauses de cette convention dont une clause stipulant que l’occupation ne donnerait lieu à la création d’aucun fonds de commerce. Les juges du fond comme les juges d’appel ayant rejeté leur demande, un pourvoi en cassation a été exercé.

Le Conseil d’État procède ici à un contrôle en deux étapes.

Il convenait tout d’abord de s’assurer de la compétence de la juridiction administrative, ce qui n’a pas posé de difficultés du fait de l’appartenance au domaine public de la parcelle du fait de son affectation à l’usage direct du public.

La deuxième étape, bien plus intéressante, consistait à apprécier la légalité de la clause stipulant que l’occupation du domaine ne donnerait pas lieu à la création d’un fonds de commerce.

Il convient de rappeler que, dans cette affaire, le juge administratif, car saisi par l’une des parties au contrat, doit se prononcer dans le cadre d’un recours dit Béziers I (CE, 28 décembre 2009, n° 304802).

Ce recours confère aux parties à un contrat administratif le droit d’en contester la validité devant le juge de plein contentieux pendant toute sa durée d’exécution.

L’office du juge est strictement encadré.  Ainsi, il peut vérifier que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qui permettent, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, d’ordonner la poursuite de l’exécution du contrat.

Le juge peut également prononcer la résiliation du contrat, si celle-ci ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général.

Enfin, le juge peut prononcer l’annulation du contrat mais uniquement lorsqu’il constate le caractère illicite du contenu du contrat ou l’existence d’un vice d’une particulière gravité.

Le juge administratif doit donc prendre en considération la nature de l’illégalité commise et tenir compte de l’objectif de stabilité des relations contractuelles.

Au cas d’espèce, la convention contestée contenait une clause stipulant que l’occupation du domaine ne donnerait pas lieu à la création d’un fonds de commerce contraire aux dispositions de l’article L. 2124-32-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) selon lequel un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l’existence d’une clientèle propre.

Cette disposition résulte de la loi du 18 juin 2014 dite « Loi Pinel » et s’applique donc à la convention litigieuse, conclue après l’entrée en vigueur de cette loi.

Le Conseil d’État devait donc se pencher sur la gravité de cette clause, afin de déterminer si son illégalité pouvait entrainer l’annulation du contrat ou de ladite clause. La Haute juridiction valide le raisonnement des juges d’appel, selon lequel la clause formait un ensemble indivisible avec les autres stipulations.

Ainsi, même si cette clause viole les dispositions de l’article L. 2124-32-1 du CG3P, cette méconnaissance ne pouvait constituer, à elle seule, un vice d’une particulière gravité au sens de la jurisprudence Béziers I justifiant l’annulation de la convention ou de cette seule clause indivisible du reste de la convention.

Ce faisant, le Conseil d’État consacre un peu plus la précarité du statut des commerçants exerçant sur le domaine public et apporte un peu de souplesse aux gestionnaires du domaine public qui peuvent s’accorder quelques écarts dans la rédaction de leurs COT.

CE, 11 mars 2022, n° 453440

Cabinet Coudray
Jean-Éric CORILLION
Publié le 05/04/2022 dans # Veille juridique