La jurisprudence sur les itinéraires cyclables se construit.
Dans un arrêt du 30 novembre 2020, le Conseil d’État vient d’apporter des précisions sur l’obligation de mettre en place un itinéraire cyclable lors de la rénovation ou de la réalisation de voies urbaines
Lors de l’adoption des délibérations contestées (2011 et 2013), l’article L. 228-2 du code de l’environnement disposait :
« A l’occasion des réalisations ou des rénovations des voies urbaines, à l’exception des autoroutes et voies rapides, doivent être mis au point des itinéraires cyclables pourvus d’aménagements sous forme de pistes, marquages au sol ou couloirs indépendants, en fonction des besoins et contraintes de la circulation.
Le type d’aménagement de ces itinéraires cyclables doit tenir compte des orientations du plan de mobilité, lorsqu’il existe. »
La loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 est venue ensuite préciser la typologie des aménagements susceptibles d’être mis en œuvre (pistes cyclables, bandes cyclables, voies vertes, zones de rencontres et marquage au sol, seulement pour les chaussées à sens unique et à une seule file).
L’article L. 228-2 prévoit une possibilité, maintenue par la loi LOM, de déroger à l’obligation de création d’aménagements cyclables « en fonction des besoins et contraintes de la situation ».
Sur ce fondement, le juge administratif a pu considérer que l’article L. 228-2 du code de l’environnement impose une obligation de moyens aux collectivités et non une obligation de résultats. Ce principe a été retenu par différentes juridictions et permettait d’arguer que les impératifs de sécurité des usagers de l’aménagement exigent que la dérogation soit appliquée.
Cependant, un autre courant jurisprudentiel, confirmé par la décision du Conseil d’État du 30 novembre 2020, considère que l’article L. 228-2 du code de l’environnement créé une obligation de résultat à la charge des collectivités publiques.
Dès lors, l’appréciation des collectivités se limite au choix de l’aménagement à mettre en place et ne porte pas sur l’opportunité de le réaliser.
A cet égard, la possibilité de créer un itinéraire alternatif ou complémentaire fait l’objet d’un compromis entre l’exigence de création d’itinéraires cyclables et la pondération de cette exigence en fonction des besoins et des contraintes de la voie réaménagée et de la population.
Jusqu’à présent, la pondération du juge semblait résulter d’une analyse au cas par cas des éléments de fait et de preuve, utilisés pour justifier l’opportunité de créer des aménagements sur la voie rénovée ou créée et de se prévaloir de l’existence d’un itinéraire alternatif.
C’est cette analyse que le Conseil d’État a précisé.
En appel, la Cour administrative d’appel de Nantes avait censuré l’action de la collectivité qui se prévalait de l’existence d’un autre itinéraire pour s’exonérer de son obligation au titre de l’article L. 228-2 du code de l’environnement[1]. Les magistrats du Palais Royal censurent l’arrêt de la CAA au regard d’un vice de procédure et se positionnent sur le fonds de l’affaire.
Selon leur interprétation des dispositions de l’article L. 228-2 du code de l’environnement :
« l’itinéraire cyclable dont elles imposent la mise au point à l’occasion de la réalisation ou de la rénovation d’une voie urbaine doit être réalisé sur l’emprise de la voie ou le long de celle-ci, en suivant son tracé, par la création d’une piste cyclable ou d’un couloir indépendant ou, à défaut, d’un marquage au sol permettant la coexistence de la circulation des cyclistes et des véhicules automobiles. Une dissociation partielle de l’itinéraire cyclable et de la voie urbaine ne saurait être envisagée, dans une mesure limitée, que lorsque la configuration des lieux l’impose au regard des besoins et contraintes de la circulation. »
En l’occurrence, l’opération de réaménagement de la RD 245 en traversée des villages de Roffiat et de Kermoisan a consisté, sur une portion de 1 200 mètres principalement bordée d’habitations, à modifier les carrefours et l’organisation du stationnement, à moderniser le réseau des eaux pluviales, à diminuer la largeur de la chaussée et à rénover le revêtement et le marquage au sol de la voie.
Constatant la nature de ces aménagements, la haute assemblée considère qu’il s’agit d’une opération de voie urbaine au sens de l’article L. 228-2 du code de l’environnement et ajoute surtout :
« Il ressort également des pièces du dossier que le projet de réaménagement de la RD 245 sur la portion en litige ne prévoit la réalisation d’aucun itinéraire cyclable sur l’emprise de la voie ou le long de celle-ci, la création sur une emprise située à quelques centaines de mètres de celle de la RD 245, d’une ” liaison douce ” reliant le centre-bourg de Batz-sur-Mer et les villages ne pouvant, en tout état de cause, être regardée comme en tenant lieu. Dès lors, le projet contesté a été arrêté en méconnaissance des dispositions de l’article L. 228-2 du code de l’environnement. »
En conclusion, le Conseil d’État confirme l’obligation d’aménager d’un itinéraire cyclable sur l’emprise de la voie ou le long de celle-ci.
Il ajoute que les besoins et les contraintes de la circulation ne peuvent être pris en compte que dans le cadre d’une dissociation de l’itinéraire avec l’emprise de la voie partielle et limitée, justifiée par la configuration des lieux.
Partant, un itinéraire cyclable dissocié ne pourrait être admis que sur une portion réduite de la voie rénovée et ne peut, en tout état, consister en une « liaison douce », a fortiori située à quelques centaines de mètres de l’emprise de la voie réaménagée.
[1] CAA Nantes, 30 avril 2019, n° 17NT00346