28février 2022

Par sa décision Société Auchan du 31 mars 2014, le Conseil d’État a ouvert une période d’insécurité juridique pour les collectivités territoriales compétentes en matière de taxe d’enlèvement des ordures ménagères TEOM), à laquelle le législateur a rapidement tenté de répondre (loi du 29 décembre 2015 de finances rectificatives pour 2015). Par sa décision Établissements Darty et Fils du 29 novembre 2021 (n° 454684), la Haute juridiction vient à son tour contribuer à la sécurisation des taux de TEOM, en admettant que le produit de la redevance spéciale (RS) devait être déduit du montant des dépenses exposées pour la collecte des déchets ménagers et assimilés lorsqu’il s’agit d’apprécier le caractère non manifestement disproportionné du taux de TEOM. Pour autant, tout risque n’est pas écarté. Il peut même s’avérer particulièrement important pour les finances locales dans une hypothèse qui n’est pas purement théorique, comme le montre la jurisprudence récente : le dégrèvement consécutif à une action en reconnaissance de droits.

1 — La TEOM étant une taxe affectée au financement des dépenses du service de collecte et de traitement des déchets ménagers et assimilés ( 1520 du CGI), son montant ne doit pas être manifestement disproportionné par rapport au montant des dépenses exposées pour assurer l’enlèvement et le traitement des déchets non couverts par des recettes non fiscales (CE, 31 mars 2014, n° 368111).

Il s’ensuit que lorsque le produit de la TEOM excède de plus de 15 % le coût exposé pour assurer l’enlèvement et le traitement des déchets ménagers et assimilés non couverts par des recettes non fiscales, l’usager est en droit d’obtenir la décharge totale de sa cotisation (CE, 24 oct. 2018, n° 413896 ; concl. VICTOR s/ CE, 20 sept. 2019, n° 419661), sans que la collectivité puisse utilement solliciter une décharge partielle (même sur le fondement de l’enrichissement sans cause : concl FOUGERES s/ TA Cergy-Pontoise, 23 mai 2018, n° 1506791) ni l’application des tarifs applicables l’année antérieure lorsque l’illégalité de la délibération fixant le taux est constatée par voie d’exception (art. 1639 A du CGI).

Face à cette jurisprudence rigoureuse, la situation des collectivités n’était pas, en pratique, financièrement très alarmante pour au moins deux raisons :

  • D’abord, car la charge financière des dégrèvements de TEOM reposait sur l’administration fiscale, seule compétente pour se prononcer sur les réclamations auxquelles peuvent donner lieu l’assiette et le recouvrement de la TEOM (CE, 11 avr. 2018, n° 407785) ;
  • Ensuite, parce que le temps du contentieux administratif conduisait à ce que les décisions statuant sur le caractère disproportionné d’une taxe au titre d’une année, était rendues après l’expiration du délai de forclusion applicable en matière fiscale (art R. 196-2 du LPF), ce qui limitait considérablement les contentieux et dégrèvements en chaine au titre d’une même année d’imposition (en dehors d’éventuelles séries).

Toutefois, d’une part, l’importante charge financière des dégrèvements de TEOM occasionnés depuis la décision Société Auchan (estimée à 220 millions d’euros en avril 2018), a conduit le législateur à mettre à la charge des collectivités, à compter du 1er janvier 2019, le montant de ces dégrèvements dans l’optique de responsabiliser les collectivités territoriales (loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, art. 23).

D’autre part, l’espoir de l’échéance de la prescription est désormais mis à mal par le développement des actions en reconnaissance de droits (art. R. 77-12-1 du CJA). Saisi pour avis, le Conseil d’Etat est venu préciser qu’une demande en reconnaissance de droits, même introduite par une réclamation préalable auprès d’une autorité incompétence, interrompait les délais de réclamation et de recours vis-à-vis des personnes susceptibles de se prévaloir des droits dont la reconnaissance était demandée, et notamment ceux prévus par le LPF (CE, 15 nov. 2021, n° 454125).

Autrement dit, l’action en reconnaissance de droits antérieurement introduite par une fédération de consommateur a pour effet d’interrompre la prescription (qui ne recommence à courir qu’à compter de la décision juridictionnelle passée en force de chose jugée : art. L. 77-12-2 du CJA) à l’égard de tous les contribuables locaux permettant à ces derniers, à la date d’introduction de leur requête, d’obtenir le dégrèvement de la TEOM (CAA Nancy, 3 fév. 2022, n° 21NC00281).

Ainsi, le délai au terme duquel la collectivité pouvait escompter ne plus voir de dégrèvements prononcés au titre d’une année d’imposition s’en trouve considérablement allongé, et est donc susceptible de conduire à des dégrèvements de masse.

2 — Or, bien que les effets pernicieux d’une action en reconnaissance de droits puissent être modulés dans le temps si cette reconnaissance emporte des conséquences manifestement excessives pour les diverses intérêts publics ou privés en présence ( L. 77-12-3 du CJA), force est de constater qu’il en est fait une application plus que modérée.

Ainsi, la Cour administrative d’appel de Nancy, pour refuser de moduler les effets de la reconnaissance de droits, a estimé qu’il ne ressortait pas que l’administration fiscale n’aurait pas été en mesure de faire face aux taches découlant des procédures de dégrèvement, de sorte qu’il n’était pas établi que la restitution de la TEOM aurait emporté des conséquences manifestement excessives pour les divers intérêts en présence (CAA Nancy, 3 fév. 2022, n° 21NC00281).

L’impact financier comme motif fondant une limitation des conséquences de la reconnaissance de droits, est écarté sans motivation particulière, la juridiction estimant sans doute implicitement que la seule incidence négative pour les finances publiques ne suffisait pas à caractériser une situation justifiant une modulation dans le temps des effets de la reconnaissance (comp. CE, 11 mai 2004, n° 255889).

Si pour l’instant peu de juridictions se sont prononcées sur la possibilité de moduler dans le temps la reconnaissance d’un droit, les seules conséquences financières nécessairement attachées à l’illégalité reconnue ne paraissent pas suffisantes pour permettre à la collectivité d’échapper à un dégrèvement de masse de la TEOM.

 Il reste toutefois à attendre la position du Conseil d’État sur cette question, pour déterminer si, compte tenu des conséquences d’un dégrèvement de masse assumé par les seules collectivités territoriales, les juridictions administratives retiendront une approche plus compréhensive des règles de modulation dans le temps au cas précis de la TEOM.

Il demeure néanmoins que les effets de l’action en reconnaissance de droits (extension du délai de prescription, difficultés d’en obtenir la modulation dans le temps) conjugués au fait qu’il appartient désormais aux collectivités d’assumer la charge des dégrèvements de TEOM, forment les ingrédients d’un cocktail explosif pour les finances locales, que seul un calcul préalable du coût net du service permet de pallier.

Les modalités de calcul du coût net du service sont en effet, aujourd’hui, globalement stabilisées, et dénotent une tendance jurisprudentielle plus compréhensive qui tend à prendre davantage en compte les pratiques budgétaires locales, notamment en ce qui concerne le champ des dépenses réellement couvertes par la TEOM (CE, 22 oct. 2021, n° 434900). Mais ceci est déjà une autre histoire…

Cabinet Coudray Publié le 28/02/2022 dans # Veille juridique