Rédigé par Maître Cédric ROQUET, Avocat senior et Madame Blanche ATTENOT, Élève-avocat au Cabinet Coudray UrbanLaw
Dans une décision du 20 février 2025 (n°493519), le Conseil d’État aborde la question de la communicabilité des déclarations d’événements indésirables graves associés aux soins (EIGS) aux ayants droit d’un patient.
Dans cette affaire, Mme A.B avait demandé l’annulation de la décision du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Rennes qui refusait de lui communiquer la déclaration d’un événement indésirable grave lié au décès de son frère.
Le Tribunal administratif de Rennes a admis son recours et a annulé le refus opposé par le CHU, ordonnant la communication du document après occultation des éléments permettant d’identifier les médecins et autres personnels de santé, validant implicitement les prescriptions de la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) préalablement saisie au titre du recours administratif obligatoire.
Saisi à son tour[1], le Conseil d’État a confirmé la décision du Tribunal administratif, en précisant que la déclaration d’un EIGS est un document administratif communicable sous certaines conditions.
En premier lieu, il a souligné que cette déclaration ne fait pas partie du dossier médical du patient, en ce qu’elle comporte uniquement des éléments relatifs à la description et à la gestion de l’événement et des éléments relatifs aux mesures prises ou envisagées en vue d’éviter sa reproduction. Partant, la communication aux ayants droit de cette déclaration ne relève pas du régime spécial prévu par les dispositions combinées de l’article L. 1111-7 et de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique.
Il s’en déduit en deuxième lieu que la demande de communication d’une déclaration d’un EIGS doit être étudiée au regard du régime général de communication des documents administratifs prévu par les articles L. 300-1 et suivants du code des relations entre le public et l’administration (CRPA). A ce titre et en application combinée des dispositions des article L. 300-6 et L. 300-7 du même code, cette communication se voit restreinte lorsqu’elle porte atteinte au secret médical et/ou à la vie privée des patients comme des soignants, pouvant imposer l’occultation de certaines mentions.
Les juges du Palais Royal relèvent en troisième lieu qu’aux termes de l’article R. 1413-68 du code de la santé publique, la déclaration d’EIGS elle-même ne doit mentionner ni les noms et prénoms du ou des patients, ni leur adresse, ni leur date de naissance, ni les noms et prénoms des professionnels ayant participé à leur prise en charge.
Le Conseil d’État déduit en quatrième lieu de l’ensemble de ces dispositions s’agissant des déclarations d’EIGS que la communication d’un tel document ne peut intervenir par principe qu’après occultation des noms et prénoms du déclarant et de l’adresse du lieu de survenue de l’événement. Doivent également être occultées toutes informations dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical du ou des patients dont la situation est à l’origine de la déclaration ainsi que, lorsque la demande de communication est adressée à une autorité qui détient ces déclarations à un niveau d’agrégation qui ne garantit pas l’impossibilité de toute réidentification des personnels de santé et agents hospitaliers concernés, les informations qui pourraient comporter une appréciation ou un jugement de valeur sur ces derniers ou qui feraient apparaître leur comportement, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait leur porter préjudice.
Le Conseil d’État précise toutefois en cinquième lieu que les occultations relatives à la préservation du secret médical et de la vie privée ne sauraient être opposées au patient, qui a la qualité de personne intéressée au sens des dispositions de l’article L. 311-6 du CRPA.
En effet, le patient dont la situation est à l’origine de la déclaration d’EIGS ne peut se voir opposer le secret médical ou la protection de la vie privée, pour ce qui concerne les informations d’ordre médical contenues dans la déclaration qui se rattachent directement et exclusivement à son état de santé et à sa prise en soin par l’établissement de santé.
La Haute Juridiction ajoute en sixième et dernier lieu qu’en cas de décès du patient, ses ayants droit, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, bénéficient aussi de cette exception uniquement lorsque de telles informations leur sont nécessaires pour leur permettre d’éclairer, par l’analyse des causes de l’événement indésirable figurant dans la déclaration, celles de la mort du patient, de défendre sa mémoire ou de faire valoir leurs droits, conformément à ce que prévoit l’article L. 1110-4 du code de la santé publique.
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En conclusion, cette décision illustre l’équilibre que le Conseil d’État cherche à maintenir entre le droit à l’information des patients et de leurs ayants droit, et la protection des données personnelles et du secret médical.
Les conditions dans lesquelles les déclarations d’EIGS peuvent être communiquées étant désormais clarifiées, il importe que les établissements de santé puissent veiller à les respecter en cas de sollicitation par les patients ou leurs ayants droit.
[1] Par la Cour administrative d’appel de NANTES sur le fondement des dispositions de l’article R. 351-2 du code de justice administrative.