17novembre 2022

Par Cédric ROQUET, avocat et Barbara KOWAL, juriste

Commentaire sous CE, 21 oct. 2022, n°456254, publié au recueil Lebon

L’obligation de communiquer le dossier personnel d’un agent faisant l’objet d’une action disciplinaire fondée sur une enquête administrative est remplie dès lors qu’est transmis à ce dernier une liste des pièces dont il peut demander communication.

En vertu du droit au procès équitable, l’agent qui fait l’objet d’une action disciplinaire doit pouvoir être à même d’obtenir communication de son dossier personnel. En l’espèce, l’agent est un sous-préfet. Ses droits et obligations reposent donc sur le décret du 14 mars 1964 portant statut des sous-préfets. L’article 19 dudit décret indique que dans le cadre de la mise en œuvre du pouvoir disciplinaire, l’intéressé peut obtenir communication de son dossier en application de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905.

Dans cette affaire il a été mis fin aux fonctions du sous-préfet de Lorient par décret du Président de la République du 2 Juillet 2021. Cette décision a été notamment prise à l’appui du rapport du Conseil supérieur de l’appui territorial et de l’évaluation d’avril 2021. Ce dernier faisait état d’un comportement et d’un management inadapté  et recommandait que l’intéressé « quitte son poste à brève échéance au regard de la détérioration du climat au sein de la sous-préfecture et des interrogations des partenaires extérieurs sur ses méthodes ». Ce rapport établi dans les suites d’une enquête administrative a été étayé par 58  procès-verbaux (PV) d’auditions de collègues de l’agent en cause. Au vu du nombre conséquent de procès-verbaux d’auditions, l’Administration a fait le choix de transmettre le rapport du Conseil Supérieur de l’appui territorial et de l’évaluation avec en annexe une liste faisant état de l’ensemble des PV le fondant en l’informant qu’il pouvait demander à ce que lui soient communiquées les pièces mentionnées. L’agent requérant conteste la légalité du décret du 2 juillet 2021 au motif que l’intégralité de son dossier ne lui aurait pas été transmis. Les juges de la Haute Assemblée ont dû en conséquence répondre à la question de savoir si la transmission d’une liste des PV d’auditions satisfaisait à l’obligation de communication du dossier à l’agent faisant l’objet d’une enquête administrative et précédent la mise en œuvre de l’action disciplinaire.

Tout d’abord, le Conseil d’État rappelle une solution établie depuis un arrêt du 28 janvier 2021, selon laquelle les procès-verbaux des auditions sont des pièces dont l’agent peut demander communication, « sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné » ( CE, 28 janvier 2021, n° 435946).

Puis, il affirme que l’obligation de communication est remplie dès lors que l’agent est informé de l’existence des pièces et de son droit d’en demander communication :

«  Si le dossier consulté ne comprenait pas les cinquante‐huit procès‐verbaux des auditions d’agents et personnalités réalisées dans le cadre de la mission d’évaluation menée par le conseil supérieur de l’appui territorial et de l’évaluation, il ressort des pièces du dossier que M. B, qui avait connaissance de cette liste qui figurait  en annexe du rapport qui lui avait été communiqué et qui était au dossier consulté, n’a pas demandé la communication de ces pièces. Dans ces conditions, M. B n’est pas fondé à soutenir qu’il n’a pas été mis à même d’obtenir communication de l’intégralité de son dossier en méconnaissance de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905 et que la mesure mettant fin à ses fonctions a été prise au terme d’une procédure irrégulière. »

En somme, si dans le cadre de la mise en œuvre de l’action disciplinaire fondée sur une enquête administrative, l’agent a le droit d’obtenir l’entièreté de son dossier personnel, ce droit n’est pas bafoué lorsque l’Administration lui communique une liste des pièces dont il peut obtenir communication mais dont il ne fait pas la demande.

Cette solution a vocation à sécuriser davantage les procédures disciplinaires mises en œuvre à l’encontre des agents défaillants et il importe de la prendre en compte.

Il convient toutefois de relever la position adoptée par la Cour Administrative d’Appel de PARIS en la matière (CAA de PARIS, n°21PA05111, 06 mai 2022). Dans un litige portant précisément sur cette question de la communication des PV d’auditions réalisées dans le cadre d’une enquête ayant secondairement fondée la mise en œuvre de l’action disciplinaire, la Cour avait jugé régulière la non-communication de différents PV. Pour ce faire, la Cour a pris le soin de prendre en compte le contenu de ces contributions et a jugé qu’elles émanaient de personnes faisant état de leur impossibilité  de pouvoir rendre compte du comportement de l’agent mis en cause, tant à charge qu’à décharge, en d’autres termes, d’une totale neutralité.

Cette solution antérieure à la décision du Conseil d’État n’apparait pas totalement en phase avec la position adoptée par la haute juridiction. Une telle décision peut présenter un intérêt en défense pour les collectivités et établissements qui connaitraient un litige en la matière. Fondée sur une appréciation nécessairement subjective du contenu des auditions, elle nous semble en revanche ne pas devoir guider la pratique des employeurs publics en matière de communication des PV d’auditions d’enquête administrative lorsque l’action disciplinaire est engagée.

A tout le moins et fort désormais de la position du Conseil d’État, il importe qu’il soit fait état de l’existence de ces PV d’auditions dans le cadre d’un bordereau transmis à l’agent mis en cause et de les lui transmettre à la demande.

Cabinet Coudray Publié le 17/11/2022 dans # Veille juridique