28novembre 2024

Rédigé par Maître Cédric ROQUET, Avocat senior et Madame Blanche ATTENOT, Élève-avocat au Cabinet Coudray UrbanLaw

Cour de cassation – Première chambre civile — 16 octobre 2024 – n° 22-23.433

Le 16 octobre 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu une décision importante concernant la charge de la preuve en cas de manquement d’un chirurgien dans la prise en charge d’un patient, révélé par le caractère lacunaire de son compte rendu opératoire.

En l’espèce, le 16 mai 2012, un patient a subi une arthroscopie de hanche. Au cours de l’intervention, une broche guide métallique permettant la réalisation de gestes intra-articulaire de microchirurgie, s’est rompue. En raison de douleurs persistantes, le patient a été réopéré deux ans plus tard et a bénéficié d’une arthroplastie. Le patient a, par la suite, saisi le juge civil aux fins d’obtenir une indemnisation de ses préjudices, estimant que le chirurgien avait commis une faute dans sa prise en charge.

La Cour de cassation raisonne en deux temps pour établir qui, du patient ou du médecin, est responsable de la charge de la preuve vis-à-vis de la faute médicale présumée.

Au terme de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, les professionnels de santé́ ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. De façon assez classique, en application des dispositions de l’article 1353 du Code Civil que la Cour rappelle dans ses visas, la preuve d’une faute, comme celle d’un lien causal avec le dommage invoqué, incombe par principe au demandeur, c’est-à-dire dans ces circonstances au patient.

C’est le raisonnement qu’a adopté la Cour d’appel d’Aix-en-Provence dont l’arrêt est soumis à la censure de la Cour de cassation. En l’espèce, la Société́ française d’arthroscopie (SFA) recommandait, lors d’une arthroscopie de hanche, de commencer l’intervention par une introduction d’air puis de sérum physiologique dans l’articulation, afin de faciliter la distraction articulaire et la mise en place des dilatateurs articulaires, puis, le cas échéant, de broches guides. La méconnaissance de ces recommandations de bonnes pratiques est susceptible de causer la rupture desdites broches.

En l’espèce, cette introduction d’air puis de sérum physiologique n’a pas été retranscrite par l’opérateur dans son compte-rendu opératoire, de sorte qu’il n’était pas possible de s’assurer que les recommandations précitées avaient bien été respectées, bien que le chirurgien ait indiqué y recourir systématiquement.

Ce sont ces circonstances qui ont invité la Cour d’appel à estimer que le patient ne rapportait pas la preuve en l’espèce que le chirurgien n’avait pas suivi les recommandations de la SFA, échouant ainsi à établir sa faute.

Cependant, il est particulièrement difficile, voire impossible, pour le patient de rapporter la preuve d’un acte qui n’aurait pas été effectué par le médecin, a fortiori dans un bloc opératoire dans un contexte anesthésique. Elle relève de ce qu’on appelle en droit « la preuve diabolique », situation qui nécessite de fournir une preuve que la partie ne peut pas se procurer de par sa nature.

C’est dans ce contexte que la Cour de cassation se saisit des faits de l’espèce pour opérer un renversement de la charge de la preuve en pareilles circonstances et ce, en faveur des patients.

Dorénavant, dans le cas d’une absence ou d’une insuffisance d’informations sur la prise en charge du patient, plaçant celui-ci ou ses ayants droit dans l’impossibilité́ de s’assurer que les actes de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés ont été appropriés, il incombe au professionnel de santé d’en rapporter la preuve.

Concrètement, l’ensemble des professionnels de santé, et plus particulièrement les chirurgiens, les médecins interventionnistes et les anesthésistes-réanimateurs, doivent être particulièrement attentifs lors de la rédaction de leurs comptes-rendus opératoires. Il est désormais impératif que les éléments de nature à s’assurer a posteriori du respect des dernières recommandations de bonnes pratiques apparaissent formellement, en sus du déroulé précis et circonstancié de l’acte de prévention, de diagnostic ou de soin.

En l’absence de telles précisions, les médecins pourront être considérés comme n’ayant pas suivi lesdites recommandations et par conséquent, comme n’ayant pas réalisé l’acte de prévention, de diagnostic ou de soin conformément aux règles de l’art.

In fine, ce renversement de la charge de la preuve fait peser sur les médecins une quasi-présomption de faute. C’est désormais au praticien de prouver qu’il n’a pas commis de faute, si son compte-rendu ne permet pas au patient d’établir quelle technique a été utilisée et suivant quelles modalités dans sa prise en charge.

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Cet arrêt illustre une nouvelle fois l’importance de la preuve en matière de responsabilité médicale.

La Cour de cassation rappelle que, dans les situations où il existe un doute ou un manquement dans l’information donnée au patient concernant sa prise en charge médicale, c’est au professionnel de santé de prouver que les actes réalisés étaient appropriés.

A l’avenir, les médecins qui ne faisaient pas déjà mention de ces éléments dans leurs comptes-rendus, vont devoir redoubler de vigilance et de rigueur dans la rédaction de ceux-ci.

Cabinet Coudray Publié le 28/11/2024 dans # Veille juridique