10octobre 2024

Rédigé par Maître Cédric ROQUET, Avocat senior et Madame Blanche ATTENOT, Élève-avocat au Cabinet Coudray UrbanLaw

Dans une récente décision QPC du 12 septembre 2024 (n° 2024-1101) , le Conseil constitutionnel déclare conforme à la Constitution les modalités d’accès au dossier médical partagé d’un patient par les professionnels participant à sa prise en charge et qui ne sont pas des professionnels de santé.

En l’espèce, le Conseil national de l’Ordre des médecins estimait contraire au droit au respect de la vie privée, encadré par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, les dispositions du paragraphe III de l’article L. 1111-17 du code de la santé publique[1] issue de la loi du 25 novembre 2021.

Ce texte permet à tout professionnel participant à la prise en charge d’une personne en application des articles L. 1110-4 et L. 1110-12 du même code d’accéder, sous réserve du consentement de la personne préalablement informée, au dossier médical partagé (DMP) de celle-ci et de l’alimenter. L’alimentation ultérieure de son DMP par ce même professionnel est soumise à une simple information de la personne prise en charge.

Pour rappel, le DMP correspond au « carnet de santé » numérique du patient. Il rassemble toutes les informations médicales détenues notamment par les personnes suivantes : médecin traitant, médecins spécialistes, laboratoire de biologie, établissements de santé… Le DMP permet aussi aux professionnels de santé autorisés d’accéder aux informations utiles à la prise en charge du patient et de partager avec d’autres professionnels de santé des informations médicales le concernant, en cas de risque immédiat pour sa santé en particulier.

Le Conseil de l’Ordre des médecins reprochait ainsi à la disposition litigieuse de « permettre à des professionnels qui ne relèvent pas de la catégorie des professionnels de santé et ne sont pas soumis aux mêmes règles déontologiques d’accéder au dossier médical partagé d’un patient, sans conditionner cet accès à un consentement libre et éclairé de la personne intéressée, ni prévoir de garanties suffisantes concernant le type de données accessibles. »

Partant, le Conseil constitutionnel s’est donc vu attribuer la lourde tâche de se prononcer sur la conciliation du droit au respect de la vie privée et du secret des informations la concernant avec les exigences de valeur constitutionnelles qui s’attachent à la protection de la santé.

Dans une décision des plus pédagogiques, les sages de la rue Montpensier ont déclaré que le régime d’accès au DMP offrait des garanties suffisantes de protection du droit au respect de la vie privée.

Pour ce faire, le Conseil constitutionnel précise d’abord, à l’appui des travaux préparatoires de la loi dont sont issues les dispositions litigieuses, que celles-ci ont été édictées pour améliorer la coordination des soins. Le Conseil relève que ce faisant, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.

Le Conseil constitutionnel rappelle ensuite que l’accès au DMP est encadré par les articles L. 1110-4 et L. 1110-12 du code de la santé publique.

Ainsi, d’une part, l’accès aux informations du DMP de la personne est limité à celles strictement nécessaires à sa prise en charge par chaque professionnel concerné.

D’autre part, dans le cadre de la prise en charge d’une personne par une équipe de soins, cet accès n’est ouvert qu’à des professionnels qui participent directement au profit d’un même patient à la réalisation d’un acte diagnostic, thérapeutique, de compensation du handicap, de soulagement de la douleur ou de prévention de perte d’autonomie, ou aux actions nécessaires à la coordination de plusieurs de ces actes et qui :

  • Soit exercent dans le même établissement de santé, au sein du service de santé des armées, dans le même établissement ou service social ou médico-social mentionné au I. de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles ou dans le cadre d’une structure de coopération, d’exercice partagé ou de coordination sanitaire ou médico-sociale figurant sur une liste fixée par décret[2] ;
  • Soit se sont vu reconnaître la qualité de membre de l’équipe de soins par le patient qui s’adresse à eux pour la réalisation des consultations et des actes prescrits par un médecin auquel il a confié sa prise en charge ;
  • Soit exercent dans un ensemble, comprenant au moins un professionnel de santé, présentant une organisation formalisée et des pratiques conformes à un cahier des charges fixé par un arrêté du ministre chargé de la santé.

À ce titre, lorsque le professionnel est membre d’une équipe de soins, l’accès au DMP auquel consent la personne intéressée vaut pour l’ensemble des professionnels membres de cette équipe.

Il s’agit d’un consentement présumé.

Dans le cas où le professionnel ne fait pas partie de l’équipe de soins précitée, ce consentement doit préalablement être recueilli par tout moyen.

Dans cette analyse, les juges ne viennent donc pas distinguer selon que les professionnels soient « de santé » ou non, contrairement à ce que souhaitent les requérants. C’est bel et bien la notion d’« équipe de soins » qui prime, conformément à ce que la loi prévoit depuis 2016.

Par ailleurs, le patient est libre, à tout moment, de refuser ou de limiter l’accès à son DMP à certains professionnels, qu’ils soient de santé ou non, ou à certaines informations comme le relève le Conseil.

Enfin, l’argument déontologique avancé par le Conseil national de l’Ordre des médecins est jugé inopérant puisque tous les professionnels, de santé ou non, sont soumis au secret en matière médicale prévu aux articles L. 1110-4 du code de la santé publique et 226-13 du code pénal ainsi qu’aux sanctions qui en résultent.

***

Par cette décision, le Conseil national de l’Ordre des médecins donne donc l’occasion au Conseil constitutionnel de déclarer conforme à la Constitution les modalités d’accès au DMP et plus largement aux données de santé d’un patient par des professionnels participant à sa prise en charge et qui ne sont pas des professionnels de santé.

Le Conseil constitutionnel confirme par cette décision que l’accès qu’il soit numérique ou non aux informations médicales des patients ne faitt pas obstacle à une protection effective de leur droit au respect de la vie privée et du secret des informations la concernant, sous couvert toutefois du parfait respect des dispositions des articles L. 1110-4 et L. 1110-12 du code de la santé publique précitées.

Les sages de la rue Montpensier confirment ainsi que ces dispositions qui visent à l’amélioration de la coordination des soins, concourent bien à l’objectif constitutionnel de protection de la santé.

 

[1] Qui prévoit « III.-Tout professionnel participant à la prise en charge d’une personne en application des articles L. 1110-4 et L. 1110-12 peut accéder, sous réserve du consentement de la personne préalablement informée, au dossier médical partagé de celle-ci et l’alimenter. L’alimentation ultérieure de son dossier médical partagé par ce même professionnel est soumise à une simple information de la personne prise en charge. »

[2] V. ici décret n°2016-996 du 20 juillet 2016 relatif à la liste des structures de coopération, d’exercice partagé ou de coordination sanitaire ou médico-sociale dans lesquelles peuvent exercer les membres d’une équipe de soins.

Cabinet Coudray Publié le 10/10/2024 dans # Veille juridique