26janvier 2023

Dans un arrêt n° 450446 en date du 13 janvier 2023, le Conseil d’État a annulé, le projet d’envergure porté par Paris Habitat portant sur l’école de la Rue Erlanger dans le XVIème arrondissement de Paris, et consistant en une reconstruction de l’établissement, mais aussi en la création d’une crèche de 45 berceaux, de 60 logements locatifs et de pension de famille de 25 studios et T2. 

L’annulation du permis se fonde sur un défaut d’insertion du projet dans le tissu urbain existant.

Pour parvenir à cette conclusion, le Conseil d’État a d’abord rappelé les dispositions pertinentes du règlement du plan local d’urbanisme de la Ville de Paris s’appliquant au terrain d’assiette du projet en matière d’intégration des constructions :

D’une part, les dispositions de l’article UG 11 du règlement du plan local d’urbanisme de la Ville de Paris fixent, de façon développée et nuancée, les règles relatives à l’aspect extérieur des constructions, aux aménagements de leurs abords, à la protection des immeubles et des éléments de paysage, applicables à la zone UG qui comprend l’essentiel du territoire construit de la ville. Si les dispositions du début du point UG 11.1.3 sur les constructions nouvelles énoncent que ces constructions doivent s’intégrer au tissu urbain existant, en prenant en compte les particularités des quartiers, celles des façades existantes et des couvertures, ces dispositions ne peuvent être isolées des autres dispositions de l’article UG 11, en particulier de celles du point UG 11.1, qui précisent que peuvent être autorisées des constructions nouvelles permettant d’exprimer une création architecturale et qui n’imposent pas que soit refusée une autorisation de nature à porter atteinte au caractère des lieux avoisinants, et celles du même point UG 11.1.3 qui précisent que l’objectif d’intégration dans le tissu urbain existant ne doit pas conduire à un mimétisme architectural ou faire obstacle à des projets d’architecture contemporaine. Dans cet esprit, les dispositions du point UG 11.1.3 permettent expressément de ne pas reprendre, pour des constructions nouvelles contemporaines, les registres des bâtiments sur rue, entendus comme le soubassement, la façade et le couronnement, tels qu’ils sont habituellement observés pour les bâtiments parisiens. De même, les dispositions du paragraphe 4 du point UG 11.1.3 relatives aux matériaux n’interdisent pas l’emploi de matériaux, ou de teintes, différents de la pierre calcaire ou du plâtre, et admet le recours à des matériaux innovants en matière d’aspect des constructions.

Ainsi, si elles posent un impératif d’intégration au tissu urbain existant, les dispositions du règlement de la ville de Paris laissent une certaine marge de manœuvre pour la réalisation de projets d’architecture contemporaine.

Puis, dans le paragraphe suivant, le juge rappelle le degré de contrôle qu’il doit être amené à porter sur la conformité d’un projet aux dispositions de l’article UG 11 du règlement du PLU de la Ville de Paris :

« D’autre part, eu égard à la teneur des dispositions de l’article UG 11 du règlement, en particulier celles du point UG 11.1.3, il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi d’un moyen en ce sens, d’apprécier si l’autorité administrative a pu légalement autoriser la construction projetée, compte tenu de ses caractéristiques et de celles des lieux avoisinants, sans méconnaître les exigences résultant de cet article. Dans l’exercice de ce contrôle, le juge doit tenir compte de l’ensemble des dispositions de cet article et de la marge d’appréciation qu’elles laissent à l’autorité administrative pour accorder ou refuser de délivrer une autorisation d’urbanisme. A cet égard, il résulte en particulier des dispositions précédemment citées de l’article UG 11 qu’elles permettent à l’autorité administrative de délivrer une autorisation de construire pour édifier une construction nouvelle présentant une composition différente de celle des bâtiments voisins et recourant à des matériaux et teintes innovants, dès lors qu’elle peut s’insérer dans le tissu urbain existant”. 

Faisant application de l’ensemble de ces dispositions à l’espèce, le Conseil d’État confirme l’analyse du tribunal administratif selon laquelle la construction imposante en béton projetée ne s’intègre pas de manière harmonieuse avec les lieux avoisinants et ne comporte aucun caractère innovant

L’arrêt retient en effet que :

« Il ressort des énonciations du jugement attaqué que, pour estimer que le projet litigieux ne satisfaisait pas aux exigences d’insertion dans le tissu urbain existant, le tribunal administratif a notamment relevé́ que, si son environnement n’était pas caractérisé par une unité des registres architecturaux ou une régularité des volumes, les constructions imposantes en béton projetées, qui entraîneraient la densification massive d’une parcelle offrant jusqu’alors un espace de respiration et de verdure dans le quartier, n’exprimaient aucune création architecturale, n’avaient, malgré la végétalisation des toitures, pas de caractère innovant et ne s’intégraient pas de manière harmonieuse aux lieux avoisinants, constitués en majorité́ d’immeubles en pierre ou recouverts d’un parement de pierre dont la surface construite est inferieure à la moitié de celle du terrain. En statuant ainsi, le tribunal administratif, qui, contrairement à ce qui est soutenu, n’était tenu ni de regarder tout projet de construction nouvelle comme exprimant, pour ce seul motif, une création architecturale, ni de regarder toute innovation comme caractérisant, par elle-même, un projet innovant, n’a pas commis d’erreur de droit et a, sans se fonder sur des motifs inopérants ni refuser de tenir compte de la marge d’appréciation que les dispositions de l’article UG 11 du règlement du plan local d’urbanisme de la Ville de Paris laissent à l’autorité administrative, porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine, exempte de dénaturation. »

Le Conseil d’État retient enfin qu’une telle illégalité n’est pas susceptible de faire l’objet d’une quelconque mesure de régularisation en application des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, de sorte que le projet porté par Paris Habitat ne pourra voir le jour à moins de subir d’importantes modifications.

Outre cette confirmation, le juge de cassation relève tout de même deux erreurs de droits commises par le tribunal administratif.

Une première erreur tirée du fait que le permis de construire n’avait pas été délivrée conformément à l’autorisation spécifique préalable prévue à l’article L. 111-8 du code de la construction et de l’habitation.

Le premier juge a également commis une seconde erreur en retenant que l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation prévue par l’article L. 111-8 du code de la construction et de l’habitation se trouvait « au sein de la Ville de Paris » alors que l’autorité compétente était en réalité le préfet de police de Paris.

L’apport principal de l’arrêt demeure l’appréciation faite par les juges suprême sur la question sensible de l’insertion d’une construction contemporaine dans le tissu urbain.

A cet égard, quelques années plus tôt, en se fondant sur les mêmes dispositions de l’article UG 11 du PLU de Paris, le Conseil d’État avait fait preuve de davantage de clémence envers le projet de rénovation de la Samaritaine porté par le groupe LVMHW ( CE, 19 jun 2015, n° 387061, n° 387768).

A cette occasion, les juges suprêmes avaient infirmé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris en retenant que les dispositions de l’article UG 11 du PLU autorise « dans une certaine mesure la délivrance de permis pour des projets d’architecture contemporaine pouvant s’écarter des « registres dominants » de l’architecture parisienne en matière d’apparence des bâtiments, et pouvant retenir des matériaux ou teintes « innovants ».

Bien qu’il concerne un projet substantiellement différent, le défaut d’insertion retenu dans le cas de la présente espèce marque un infléchissement de la jurisprudence sur les innovations architecturales qu’il est possible de réaliser au sein de la ville de Paris.

Plus largement, le contexte règlementaire actuel en matière d’urbanisme tendant vers la réduction de l’artificialisation des sols, couplé au besoin croissant de logements, entraîne la réalisation d’immeubles imposants, d’une nature similaire à celui de la rue ERLANGER.

Dans le cadre de la réalisation de ces projets, cette jurisprudence aura le mérite de rappeler aux porteurs de projet ainsi qu’aux services instructeurs que le juge administratif exerce un contrôle effectif sur l’insertion architecturale, lequel peut mener à l’annulation totale d’un projet.

 

Cabinet Coudray Publié le 26/01/2023 dans # Veille juridique