30juin 2023

Le premier semestre 2023 a été riche en jugements relatifs à la mise en place de dérogations aux 1607 heures par les collectivités territoriales motivées par l’existence de sujétions particulières, et ces décisions témoignent d’une application méticuleuse et stricte de cette notion par les juridictions.

L’article 47 de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 avait laissé jusqu’au 1er janvier 2022 aux collectivités territoriales pour qu’elles appliquent effectivement un temps de travail annuel de 1607 heures à leurs agents.

La seule possibilité laissée aux collectivités territoriales par la loi du 6 août 2019 pour déroger à ce temps de travail annuel était de mettre en place des régimes spécifiques justifiés par l’existence de « sujétions liées à la nature des missions et à la définition des cycles de travail qui en résultent, et notamment en cas de travail de nuit, de travail le dimanche, de travail en horaires décalés, de travail en équipes, de modulation importante du cycle de travail ou de travaux pénibles ou dangereux » (article 2 du décret n° 2001-623 du 12 juillet 2001 pris pour l’application de l’article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale).

L’application de cette réforme a donné lieu à de nombreux litiges, et au cours du premier semestre 2023 plusieurs tribunaux administratifs ont rendu leurs jugements. Il s’agit notamment des tribunaux administratifs de Cergy-Pontoise (jugements n° 2201868 et 2205373 du 18 avril 2023), de Dijon (jugement n° 2201146 du 7 mars 2023), de Marseille (jugements n° 2107866 du 4 mars 2023 et n° 2207808 du 13 avril 2023) et de Melun (jugements n° 2302950 du 12 mai 2023 et n° 2303778 du 23 mai 2023).

L’analyse de ces décisions permet de constater, en premier lieu, que le caractère exhaustif des cas dans lesquels l’article 2 du décret n° 2001-623 du 12 juillet 2001 est systématiquement souligné par le juge administratif.

En effet, les jugements susmentionnés reprennent à leur compte la formulation déjà utilisée par la cour administrative d’appel de Paris dans son arrêt du 13 décembre 2021 n° 21PA05761 relatif au temps de travail des agents de la ville de Paris :

« Aux termes de l’article 2 du décret du 12 juillet 2001 pris pour l’application de l’article 7-1 de la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 et relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale: « L’organe délibérant de la collectivité ou de l’établissement peut, après avis du comité technique compétent, réduire la durée annuelle de travail servant de base au décompte du temps de travail défini au deuxième alinéa de l’article 1er du décret du 25 août 2000 susvisé pour tenir compte de sujétions liées à la nature des missions et à la définition des cycles de travail qui en résultent, et notamment en cas de travail de nuit, de travail le dimanche, de travail en horaires décalés, de travail en équipes, de modulation importante du cycle de travail ou de travaux pénibles ou dangereux.». Il résulte de ces dispositions, qui ont pour effet de définir de manière exhaustive les cas dans lesquels il est possible de prévoir des dérogations à la durée annuelle de travail de 1607 heures, que le champ de ces dérogations est expressément limité aux seules hypothèses de sujétions intrinsèquement liées à la nature même des missions. »

Ainsi, le caractère exhaustif des cas permettant de déroger aux 1607 heures se confirme à mesure que différentes juridictions rendent leurs décisions.

La formulation retenue par les juridictions revêt toutefois une certaine ambiguïté.

En effet, elle pourrait laisser penser que la notion d’exhaustivité s’applique à la liste des sujétions : « travail de nuit, de travail le dimanche, de travail en horaires décalés, de travail en équipes, de modulation importante du cycle de travail ou de travaux pénibles ou dangereux ». Ce n’est pas le cas, puisque celle-ci est précédée de l’adverbe « notamment ». La notion d’exhaustivité s’applique en réalité au fait que toute dérogation aux 1607 heures doit être liée « à la nature des missions et à la définition des cycles de travail qui en résultent » et à aucun autre motif.

Il existe à ce stade peu de raisons de penser que ce mouvement jurisprudentiel puisse connaître un infléchissement.

En second lieu, l’analyse des jugements démontre que le juge administratif s’attache à effectuer un contrôle strict des sujétions motivant les dérogations aux 1607 heures mises en place par les collectivités territoriales.

Par exemple, la commune et le CCAS de Nanterre avaient mis en place une dérogation reposant à la fois sur la pénibilité des fonctions et sur l’âge (agents de 50 ans et plus) ou l’existence d’une maladie professionnelle chez un agent. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise (affaires n° 2201868 et 2205373) a annulé les délibérations au motif que ce régime dérogatoire reposait « sur des considérations autres que celles intrinsèquement liées à la nature même des missions exercées », en l’occurrence la vulnérabilité particulière de certains agents du fait de leur âge ou de leur état de santé. L’argumentation de la commune et du CCAS pour chercher à démontrer le lien entre ces critères et la pénibilité du travail a été vain.

S’agissant du tribunal administratif de Marseille (affaire n° 2107866), il a annulé une délibération de la ville de Marseille qui avait mis en place une dérogation pour les agents des écoles et crèches motivée par les effets de la crise sanitaire (surcharge de travail et absentéisme liés à l’épidémie). Le juge a estimé, à travers une formulation relativement cinglante, que ces circonstances n’étaient pas intrinsèquement liées à la nature des missions exercées par les agents mais au contraire qu’elles se rapportaient « à des difficultés d’organisation interne qu’ont connu toutes les organisations collectives exerçant des missions comparables en France du fait de cette crise ».

Quant aux tribunaux administratifs de Melun (affaire n° 2302950) et de Dijon (affaire n° 2201146), ils ont eu l’occasion d’annuler des délibérations mettant en place une dérogation aux 1607 heures pour l’ensemble du personnel communal. Sans surprise, les juges n’ont pas été convaincus par l’argumentation des communes selon laquelle l’ensemble de leurs agents seraient soumis à des sujétions particulières.

Enfin, notons que dans la seconde affaire jugée par le tribunal administratif de Melun (n° 2303778), celui-ci a validé la délibération du département du Val-de-Marne en ce qu’elle octroyait des jours de congés supplémentaires aux agents « dont les fonctions ont été limitativement et suffisamment énumérées » et qui les exposent à des travaux pénibles, dangereux et salissants.

Ce dernier exemple démontre qu’il est bel et bien possible pour les collectivités territoriales de mettre en place des dérogations aux temps de travail annuel de 1607 heures, mais que pour ce faire elles doivent s’astreindre à un travail précis et étayé de délimitation des sujétions particulières justifiant ces dérogations et de définitions des fonctions impactées par lesdites sujétions.

Cabinet Coudray
Sébastien DUGUÉ
Publié le 30/06/2023 dans # Veille juridique