Dans un arrêt récent la Cour administrative d’appel de Versailles vient de valider la régularité d’un projet de décompte final puis d’un projet de décompte général par courrier recommandé et non par transmission via Chorus du fait de l’absence de rejet dudit document à réception par le maître d’ouvrage :
” 3. La commune de Gennevilliers soutient que c’est à tort que, pour faire droit à la demande de la SAS Entreprise Pitel tendant à l’octroi d’une provision au titre du solde de son marché, le juge de première instance a estimé qu’un décompte général et définitif du marché était né tacitement, dès lors que la société a notifié son projet de décompte final par voie postale alors que les dispositions du code de la commande publique lui imposaient d’adresser sa demande de paiement sous forme électronique sur le portail public de facturation Chorus Pro.
4. Aux termes de l’article L. 2192-1 du code de la commande publique dans sa rédaction applicable à l’espèce : ” Les titulaires de marchés conclus () les collectivités territoriales () transmettent leurs factures sous forme électronique. “. Aux termes de l’article L. 2192-5 du même code dans sa rédaction applicable : ” () Pour la mise en œuvre des obligations fixées à la sous-section 1 de la présente section, utilisent le portail public de facturation : 1° () les collectivités territoriales () ; 2° Les titulaires de marchés conclus avec un acheteur mentionné au 1° (). “. Aux termes de l’article R. 2192-3 du même code : ” Un arrêté du ministre chargé du budget, annexé au présent code, définit les modalités techniques selon lesquelles le dépôt, la transmission et la réception des factures sont effectués sur le portail public de facturation en application de l’article L. 2192-5. Ces modalités garantissent la réception immédiate et intégrale des factures et assurent la fiabilité de l’identification de l’émetteur, l’intégrité des données, la sécurité, la confidentialité et la traçabilité des échanges. L’utilisation du portail public de facturation est exclusive de tout autre mode de transmission. Lorsqu’une facture lui est transmise en dehors de ce portail, la personne publique destinataire ne peut la rejeter qu’après avoir informé l’émetteur par tout moyen de l’obligation mentionnée à l’article L. 2192-1 et l’avoir invité à s’y conformer en utilisant ce portail. “. Par ailleurs, en vertu de l’article 193 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, les dispositions de l’article L. 2192-1 du code de la commande publique sont applicables aux contrats en cours d’exécution à la date de leur entrée en vigueur, ce qui est le cas du marché litigieux.
5. Il résulte de ces dispositions que la SAS Entreprise Pitel devait, quand bien même les stipulations de l’article 13.3.2 du CCAG-Travaux dans leur rédaction alors en vigueur permettaient la transmission du décompte général par tout moyen, déposer le projet de décompte final sur la plateforme Chorus Pro. Toutefois, il ne résulte pas de l’instruction et n’est d’ailleurs pas allégué que la commune de Gennevilliers, à réception du pli recommandé contenant le décompte final transmis par la SAS Entreprise Pitel, ait informé cette dernière du rejet du décompte pour ce motif et l’ait invitée à utiliser le portail public de facturation Chorus Pro, ainsi que l’exigent les dispositions précitées de l’article R. 2192-3 du code de la commande publique. Dans ces conditions, la réception, par la commune de Gennevilliers et le maître d’œuvre, de ce pli comportant le projet de décompte final établi par la SAS Entreprise Pitel a fait courir le délai de trente jours prévu à l’article 13.4.2 du CCAG-Travaux, dont le dépassement a donné lieu à l’établissement d’un décompte général et définitif tacite dans les conditions prévues par l’article 13.4.4 de ce cahier.
6. Il résulte de ce qui précède que la commune de Gennevilliers n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que la juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a fait droit à la demande de la SAS Entreprise Pitel tendant à l’octroi de provisions au titre du solde de son marché en se fondant sur le décompte général et définitif du marché né tacitement (Cour administrative d’appel de Versailles – Juge des référés, 10 octobre 2024, n° 24VE01605).”
En l’espèce, malgré l’obligation de présentation d’un projet de décompte final via Chorus, la Cour considère, qu’en l’absence de rejet par le maître d’ouvrage du document adressé en format papier, il convenait de considérer, même si cela n’est pas explicitement mentionné, qu’il était de la commune intention des parties de donner toute légitimité à ce document et de lui donner ses pleins effets malgré une irrégularité de forme.
Par analogie, en matière de clôture financière des comptes du marché, le Tribunal administratif de Rennes (TA Rennes, 17 mai 2023, n°1903306 et 2004867) a récemment considéré que l’envoi d’un décompte général par le maître d’ouvrage, malgré un projet de décompte final prématuré adressé par le titulaire en l’absence de levée des réserves dans le cadre d’une réception « sous réserves », devait s’analyser comme une commune intention des parties de s’extraire des dispositions prévues aux documents du marché, c’est-à-dire des procédures de règlement des comptes prévues au CCAP et au CCAG Travaux, et de leur volonté de procéder au règlement financier du marché malgré les caractéristiques de la réception.
Ce jugement est à rapprocher de la jurisprudence établie considérant que dès lors que le titulaire du marché s’est vu notifier le décompte général et que celui-ci l’a contesté par le biais d’un mémoire en réclamation, l’irrégularité du décompte est « sans incidence sur le fait qu’il s’agit d’un véritable décompte » (CAA LYON, 18 septembre 2014, Société Nailler, n° 13LY01725). Cette solution pouvait d’ailleurs déjà se déduire de la jurisprudence antérieure du Conseil d’État (CE, 14 mai 2008, Société CMS Bessac, req. n° 288622 ; voir également : Conclusions de Monsieur Dacosta, rapporteur public, sous CE, 27 octobre 2010, Centre hospitalier des Quatre Villes, req. n° 332056).
Cette décision est éminemment pragmatique, eu égard aux enjeux procéduraux de la clôture des comptes d’un marché public.
Il appartient dès lors aux maîtres d’ouvrages publics, comme aux titulaires, d’être particulièrement vigilants aux modalités contractuelles de transmission des documents de fin de marché, une mauvaise interprétation pouvant notamment avoir pour conséquence l’existence d’un décompte général et définitif tacite au profit du titulaire.