En adoptant la loi « Climat et Résilience » du 22 août 2021, le législateur a mis fin à une période d’incertitude résultant de deux arrêts du Conseil d’État rendu au premier trimestre 2020 jugeant incompatible le régime des associations syndicales de propriétaire et le régime de la domanialité publique.
De jurisprudence ancienne, le régime de la copropriété est inconciliable avec le régime de la domanialité publique.
Voir en ce sens :
« Considérant que les règles essentielles du régime de la copropriété telles qu’elles sont fixées par la loi du 10 juillet 1965, et notamment la propriété indivise des parties communes, – au nombre desquelles figurent, en particulier, outre le gros œuvre de l’immeuble, les voies d’accès, passages et corridors -, la mitoyenneté présumée des cloisons et des murs séparant les parties privatives, l’interdiction faite aux copropriétaires de s’opposer à l’exécution, même à l’intérieur de leurs parties privatives, de certains travaux décidés par l’assemblée générale des copropriétaires se prononçant à la majorité, la garantie des créances du syndicat des copropriétaires à l’encontre d’un copropriétaire par une hypothèque légale sur son lot, sont incompatibles tant avec le régime de la domanialité publique qu’avec les caractères des ouvrages publics ; que, par suite, des locaux acquis par l’État, fût-ce pour les besoins d’un service public, dans un immeuble soumis au régime de la copropriété n’appartiennent pas au domaine public et ne peuvent être regardés comme constituant un ouvrage public ; que, par conséquent, les dommages qui trouveraient leur source dans l’aménagement ou l’entretien de ces locaux ne sont pas des dommages de travaux publics » (CE, 11 février 1994, n° 109554)
Pour pallier cette incompatibilité, la pratique a développé la division en volumes pour organiser la superposition du domaine public et des propriétés privées dans les ensembles immobiliers complexes.
Ces divisions en volumes s’accompagnent d’une organisation juridique de substitution à celle de la copropriété ayant pour objet d’assurer la gestion des espaces communs aux différents volumes, de façon similaire à la gestion des parties communes en cas de copropriété.
L’organisation juridique de substitution prend la forme des documents contractuels de la volumétrie (état descriptif de division en volumes et son cahier des charges) et passe par la mise en place d’une organisation personnifiée. Il s’agit le plus souvent d’une association syndicale libre (ASL), parfois une association foncière urbaine libre (AFUL).
Deux jurisprudences du Conseil d’État sont venues remettre en cause cette organisation personnifiée pour les biens relevant du domaine public plaçant les praticiens dans une longue période d’incertitude.
Pour les AFUL, voir :
« Enfin, aux termes de l’article L. 322-1 du code de l’urbanisme : ” Les associations foncières urbaines sont des associations syndicales régies par les dispositions de l’ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires ainsi que par celles de la présente section, constituées entre propriétaires intéressés pour l’exécution des travaux et opérations énumérés à l’article L. 322-2 “. Aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires : ” Les créances de toute nature d’une association syndicale de propriétaires à l’encontre d’un de ses membres sont garanties par une hypothèque légale sur les immeubles de ce membre compris dans le périmètre de l’association “. Aux termes de l’article L.322-9 du code de l’urbanisme, dans sa version issue de cette même ordonnance du 1er juillet 2004 : ” Les créances de toutes natures exigibles d’une association foncière urbaine à l’encontre d’un associé, qu’il s’agisse de provisions ou de paiements définitifs, sont garanties par une hypothèque légale sur les immeubles de l’associé compris dans le périmètre de l’association. Les conditions d’inscription et de mainlevée de cette hypothèque sont celles qui sont prévues à l’article 19 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis “. Il découle de ces dispositions que le régime des associations foncières urbaines libres est incompatible avec celui de la domanialité publique, notamment avec le principe d’inaliénabilité. Par suite, des locaux acquis par une personne publique dans un immeuble inclus dans le périmètre d’une association foncière urbaine libre, fût-ce pour les besoins d’un service public, ne peuvent constituer des dépendances de son domaine public. Dès lors, en jugeant que la circonstance que les lots litigieux soient compris dans un immeuble géré par une association foncière urbaine libre ne faisait pas obstacle à leur appartenance au domaine public, le tribunal administratif a également commis une erreur de droit » (CE, 23 janvier 2020, n° 430192).
Concernant les ASL, voir :
« 6. En revanche, aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires, dont l’article 58 a abrogé la loi du 21 juin 1865 : ” Les créances de toute nature d’une association syndicale de propriétaires à l’encontre d’un de ses membres sont garanties par une hypothèque légale sur les immeubles de ce membre compris dans le périmètre de l’association “. Il découle de ces dispositions que le régime des associations syndicales est, depuis leur entrée en vigueur, incompatible avec celui de la domanialité publique, notamment avec le principe d’inaliénabilité.
« 7. Il s’ensuit qu’un immeuble inclus dans le périmètre d’une association syndicale et qui, à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er juillet 2004, n’appartenait pas au domaine public d’une personne publique, ne peut devenir une dépendance de ce domaine, alors même qu’il serait affecté à l’usage direct du public ou qu’il serait affecté à un service public et aurait fait l’objet d’aménagements propres à lui conférer cette qualification » (CE, 10 mars 2020, n° 432555).
Dans cette dernière affaire, M. Romain Victor a prononcé les conclusions suivantes :
« Votre jurisprudence (essentiellement vos arrêts Cie d’assurances Préservatrice Foncière et désormais SARL JV Immobilier), comme celle de la Cour de cassation (v. Civ. 1re, 25 févr. 2009, Commune de Sospel c/ Beye et a., n° 07-15.772, Bull. 2009 I n° 39) privilégie une approche que l’on pourrait qualifier d’« alternative » : elle retient qu’il n’y a pas d’obstacle de principe à ce qu’une personne publique soit propriétaire de lots dans une copropriété privée ou d’une parcelle comprise dans une association de propriétaires, mais exclut que le régime de la domanialité publique et le régime d’administration de droit privé cohabitent. Entre les deux, il faut choisir, et les deux ordres de juridiction retiennent une solution opérationnelle qui consiste à donner la priorité au régime juridique ayant trouvé à s’appliquer en premier. Si la copropriété privée a préexisté à la domanialité publique, alors c’est le droit public qui est évincé. Mais si le bien était déjà entré dans le domaine public, il ne peut en ressortir, et c’est le règlement de copropriété qui est entaché de nullité. Cette approche binaire sauvegarde la pureté du régime applicable, qui trouve alors à régir intégralement le bien ».
De ces deux décisions résultaient plusieurs difficultés pratiques.
En premier lieu, tout comme l’acquisition d’un lot dans une copropriété existante, l’incompatibilité entre le régime des AFUL ou ASL et celui de la domanialité publique empêchait que le bien en cause puisse être incorporé au domaine public, quels que soient son affectation et les aménagements dont il aurait pu faire l’objet.
Dès lors un bien acquis alors qu’il était déjà intégré dans le périmètre d’une ASL ou d’une AFUL devait nécessairement appartenir au domaine privé de la personne publique.
En second lieu, un bien faisant partie du domaine public ou destiné de façon certaine à en faire partie dans le cadre d’une opération immobilière en cours de réalisation, ne pouvait pas être inclus dans le périmètre d’une telle AFUL ou ASL.
Cette impossibilité a conduit la doctrine à imaginer des solutions alternatives à l’association syndicale de propriétaire dont la plus séduisante sur un plan opérationnel consistait en un conventionnement ad hoc.
Toutefois, cette solution ne permettait pas l’instauration d’une personne morale, ce qui conduisait les gestionnaires du domaine public à imaginer des solutions au cas par cas. A la différence de l’outil institutionnel, l’outil contractuel imposait à ces gestionnaires une approche exhaustive ab initio des problématiques liées à l’utilisation, la gestion et à l’entretien des éléments collectifs ou structurels. Une telle approche n’était pas réellement compatible avec la réalité de la gestion d’un immeuble complexe dont les utilisations et les aménagements évoluent nécessairement au cours du temps.
Alerté sur ces questions essentielles pour l’efficacité de l’action publique dans les montages immobiliers complexes, le législateur a opportunément neutralisé les difficultés posées par la jurisprudence du Conseil d’État.
Ainsi, l’article 220 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « Loi Climat et Résilience », le législateur a pris le soin de modifier l’article 6 de l’ordonnance de 2004 pour exclure les biens relevant du domaine public du champ d’application de l’hypothèque légale.
Le nouvel alinéa introduit à l’article 6 est libellé comme suit :
« Lorsque des personnes publiques sont membres d’une association syndicale de
propriétaires, l’hypothèque légale ne s’applique pas à ceux de leurs immeubles qui
appartiennent au domaine public. »
Le principe d’incompatibilité posé par le Conseil d’État est écarté par le législateur.
Il convient également de souligner que la loi confère un effet rétroactif à cette nouvelle règle en précisant que ces dispositions sont applicables aux associations syndicales de propriétaires créées avant l’entrée en vigueur de l’article 220 de la loi du 22 août 2021.
Texte intégral de l’article 220 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021