21décembre 2017

Et si un agent public pouvait désormais exercer son droit de retrait en cas de harcèlement moral ?

Les dispositions de l’article 5-6 du décret n°82-453 du 28 mai 1982 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique prévoient la possibilité pour tout agent public de se retirer d’une situation de travail « dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ».

L’exercice du droit de retrait suppose donc l’existence d’un « danger grave et imminent ».

Si la gravité du danger en cas de harcèlement moral n’est pas contestable, son caractère imminent l’est davantage puisque, par définition, l’infraction ne peut s’établir que dans le temps par l’existence « d’agissements répétés » ayant pour objet ou pour effet une altération de la santé physique ou mentale notamment.

La constitution de l’infraction est donc conditionnée par la répétition de comportements dans le temps ce qui s’accommode difficilement du caractère imminent d’un danger justifiant le retrait immédiat d’une situation de travail.

Le Conseil d’Etat a d’ailleurs eu l’occasion de considérer que le « stress intense » d’un agent qui s’estimait par ailleurs victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral, ne le plaçait pas dans une situation de « danger grave et imminent » au sens des dispositions de l’article 5-6 du décret n°82-453 précité et que, en conséquence, l’administration ne commettait pas d’erreur d’appréciation en estimant que l’exercice de son droit de retrait n’était pas fondé (Voir en ce sens CE, 16 décembre 2009, n°320840).

Suivant cette jurisprudence, l’agent victime de harcèlement moral ne peut valablement exercer son droit de retrait. L’autorité administrative est donc fondée à lui en refuser le bénéfice et par suite, à opérer d’éventuelles retenues sur salaire en cas d’exercice du droit de retrait pour ce motif. Cette approche pourrait toutefois être remise en cause suite à un récent arrêt de la cour administrative d’appel de PARIS (CAA PARIS, 28 novembre 2017, n°16PA03383).

La Cour semble en effet admettre que le droit de retrait puisse être exercé en raison d’une situation de harcèlement moral.

En l’espèce, un agent sollicitait l’annulation d’un titre de perception émis à son encontre en l’absence de service fait. Au soutien de sa demande elle arguait de ce qu’elle avait exercé son droit de retrait en raison d’un danger grave et imminent résultant d’une situation de harcèlement dont elle s’estimait victime et que, en conséquence, son employeur ne pouvait répéter les sommes qu’elle avait perçues durant la période objet du retrait.

La Cour, après avoir relevé que la requérante n’apportait pas d’éléments permettant de retenir l’existence de harcèlement moral, ou, à tout le moins, de le présumer, a estimé, que « les faits en cause [n’étaient] ainsi pas de nature à caractériser une situation de danger grave et imminent dont elle aurait été fondée à se préserver dans le cadre des dispositions de l’article 5-6 du décret du 28 mai 1982 ».

Selon cet arrêt, l’administration ne pourrait donc plus, par principe, estimer que l’exercice du droit de retrait ne serait pas fondé au seul motif qu’il intervient dans un contexte de harcèlement moral. Il lui appartiendrait dorénavant d’examiner si les faits relatés par l’agent laissent présumer l’existence d’une telle situation pour se prononcer sur le bien-fondé de la décision d’exercer son droit de retrait.

S’il ne doit pas être donné à cette décision une portée trop importante, compte tenu de son caractère isolé, il n’en demeure pas moins qu’elle semble s’inscrire dans le courant de protection accrue des agents contre les risques psychosociaux, puisqu’elle offre à la fois à l’agent un moyen de se préserver d’une situation de harcèlement moral et impose par ailleurs à l’administration, sous peine d’être censurée par le juge (qui exerce en la matière un contrôle normal), d’examiner la situation avant d’opposer de prendre une décision sur son droit de retrait. Le refus de principe ne semble dès lors plus possible.

Cabinet Coudray
Marie SAULNIER
Publié le 21/12/2017 dans # Publications