19décembre 2018

Répartition des compétences entre le juge administratif et le juge du contrat de travail

La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 a modifié profondément le droit des « grands licenciements collectifs » en soumettant le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE, encore couramment appelé « plan social ») à un contrôle préalable de l’administration (en pratique, la DIRECCTE), et ce que le plan résulte d’un accord collectif ou d’une décision unilatérale de l’employeur.

L’institution de ce nouveau rôle pour l’administration s’est accompagnée du transfert de l’ensemble du contentieux des plans sociaux au juge administratif : tant le PSE lui-même que la procédure de licenciement collectif ne peuvent faire l’objet d’un litige distinct de celui portant sur la décision de l’administration validant ou homologuant le PSE (cf. article L. 1235-7-1 du code du travail).

Pour autant, le juge du contrat de travail (conseil de prud’hommes en première instance) reste compétent pour statuer notamment sur les licenciements individuels prononcés dans le cadre du PSE.

La coexistence de ces deux juges pour une même situation soulève d’inévitables questions de frontières, en particulier en ce qui concerne le reclassement des salariés.

Ce reclassement constitue en effet une problématique à la fois collective, qui doit être abordée dans le PSE au moyen du plan de reclassement, et individuelle, l’employeur devant mener une recherche individualisée, sérieuse et loyale des possibilités de reclassement, que ces possibilités soient prévues ou non dans le PSE.

C’est sur ce point précis que la chambre sociale de la Cour de cassation vient apporter un éclairage par un arrêt du 21 novembre 2018 (Cour de cassation, Chambre sociale, Arrêt n°1668 du 21 novembre 2018 (17-16.766, 17-16.767)

Elle censure une cour d’appel qui s’était fondée presque exclusivement sur l’insuffisance du PSE pour juger que l’employeur n’avait pas rempli son obligation de rechercher les possibilités de reclassement.

Ce faisant, elle invite le juge du contrat de travail à « respecter strictement la compétence administrative consacrée par le législateur » (Note explicative à l’arrêt, consultable sur le site de la Cour de cassation) :

  • L’appréciation du caractère suffisant des mesures de reclassement prévues par le PSE relève de la compétence exclusive du juge administratif, dans le cadre de la contestation du PSE lui-même,
  • En revanche, le juge judiciaire demeure compétent pour apprécier le respect de l’obligation individuelle de reclassement, même lorsqu’un PSE est mis en place.

Tant les salariés que les employeurs doivent prendre en compte cet arrêt important :

  • Les premiers, pour ne pas sous-estimer l’enjeu qu’il y a à introduire un recours contre le PSE devant le tribunal administratif dès lors que son contenu en matière de reclassement paraît insuffisant, sous peine de ne plus pouvoir invoquer de telles insuffisances devant le conseil de prud’hommes ;
  • Les seconds, pour être vigilants à ce que leur obligation de reclassement ne s’épuise pas dans le PSE et que la validation du PSE par la DIRECCTE ne les exonère pas ensuite d’une recherche sérieuse, loyale et individualisée des possibilités de reclassement.
Cabinet Coudray
Ludovic DUFOUR
Publié le 19/12/2018 dans # Publications