Etat des textes et de la doctrine au 13 novembre 2020
Par Raphaële ANTONA TRAVERSI, Avocat associé & Victoria ROBERT, Avocat collaborateur
En 2020, les états d’urgence sanitaire se suivent mais ne se ressemblent pas, notamment en matière de procédures de participation du public.
Au cours de la première vague de la COVID, l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée avait suspendu les délais prévus pour la consultation et la participation du public jusqu’à une période de sept jours suivant la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.
Seules quelques mesures particulières avaient été prévues pour maintenir les enquêtes publiques déjà en cours à la date du 12 mars 2020, ou devant être organisées entre cette date et le 30 mai 2020 inclus, lorsque le retard résultant de leur interruption ou de l’impossibilité de les accomplir était susceptible d’entraîner des conséquences difficilement réparables dans la réalisation des projets présentant cumulativement un intérêt national et un caractère urgent.
Dans ces circonstances, l’article 12 de l’ordonnance n° 2020-306 prévoyait que le préfet pouvait aménager les modalités d’enquête publique en privilégiant uniquement des moyens électroniques dématérialisés.
Dans le cadre de la seconde vague de la COVID, l’annonce d’un nouvel état d’urgence sanitaire tout comme celle d’un nouveau confinement n’ont donné lieu à aucune mesure d’aménagement des procédures de participation en cours ou à venir.
En conséquence, nous pouvons en conclure que ces procédures ne sont pas suspendues, en l’état des textes en vigueur.
Pour autant, eu égard à la particularité du contexte, les modalités de participation du public ne peuvent manifestement pas être maintenues telles qu’elles étaient initialement envisagées.
En outre, si ce constat s’applique aux enquêtes publiques, il prend une dimension encore plus forte en matière de concertation préalable, dont les modalités de mise en œuvre requièrent souvent des réunions publiques ou des ateliers participatifs.
Une fiche de la Compagnie Nationale des Commissaires Enquêteurs (CNCE) détermine la conduite à tenir par les commissaires enquêteurs à l’égard des enquêtes publiques commencées ou devant se dérouler pendant la nouvelle période de confinement prévue jusqu’au 1er décembre 2020 :
La fiche du CNCE a fait l’objet de précisions dans le cadre d’une note de doctrine du Commissariat Général du Développement Durable (CGDD) publié le 9 novembre 2020 qui a notamment remis en cause la possibilité de suspendre certaines enquêtes publiques.
A notre sens, la suspension prévue par l’article L. 123-14 du code de l’environnement est cantonnée à la volonté de la personne responsable d’un projet, plan ou programme d’apporter à celui-ci des modifications substantielles en cours d’enquête. Il ne saurait donc être mis en œuvre dans le cadre de ce nouvel état d’urgence.
Concernant l’interruption de l’enquête, l’article L. 123-4 in fine du code de l’environnement prévoit uniquement qu’en cas d’empêchement d’un commissaire enquêteur, le président du tribunal administratif ou le conseiller délégué par lui ordonne l’interruption de l’enquête, désigne un commissaire enquêteur remplaçant et fixe la date de reprise de l’enquête. Le public est informé de ces décisions.
Cet article pourrait donc être appliqué dans l’hypothèse où le commissaire-enquêteur serait malade de la Covid-19 ou cas contact.
Le CGDD précise d’ailleurs expressément qu’en « l’absence d’ordonnance suspendant les délais, des décisions d’interruption ou de suspension d’enquêtes publiques peuvent être prises, au cas par cas, sur la base des articles L.123-14 (suspension de l’enquête publique) et L. 123-4 (interruption de l’enquête publique) du code de l’environnement, dès lors que les critères fixés par ces dispositions sont remplis. »
Le commissariat général s’oppose également à la préconisation de la CNCE visant le retrait de l’arrêté d’ouverture et le report de celle-ci au motif qu’elle est incompatible avec la continuité du service public, objectif poursuivi par le décret n° 2020-1310.
Le CGDD rappelle que les permanences des commissaires-enquêteurs et les visites des lieux par ces derniers ne sont pas des activités interdites par le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020, dès lors que la présence maximale de six personnes en simultanée et les mesures sanitaires sont respectées.
Cette lecture du CGDD est, en effet, parfaitement conforme aux dispositions du décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020.
En premier lieu, il sera remarqué que dans le cadre des enquêtes publiques, les réunions ne sont pas la norme. Il s’agit d’une faculté offerte au commissaire enquêteur aux termes des dispositions de l’article L. 123-13.
En deuxième lieu, nonobstant les limites des débats numériques et notamment l’exclusion d’un certain public, les réunions peuvent être organisées par voies dématérialisées. Il conviendra alors de veiller au choix de l’outil, aux modalités d’animation et de publicité de cet évènement. (Sur ce point voir les suggestions de la CNDP transposables).
Le CGDD recommande ainsi de les organiser par voie dématérialisée et pour pallier le risque d’exclusion, il préconise un libre accès via un poste informatique a minima dans les préfectures tout en respectant les mesures d’hygiène et de distanciation sociale.
En troisième lieu, il convient de s’interroger sur la légalité d’un rassemblement de plus de 6 personnes pour un événement indispensable à la continuité de la vie de la Nation, dans le respect des mesures sanitaires au sein d’un établissement recevant du public (ERP) non interdit par le décret comme les administrations (Les administrations sont classées en établissement de type W dans la liste des ERP). L’articulation des articles 3, 28 et 45 du décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020 semble le permettre. Cependant, l’article 3 IV permet au préfet d’interdire ou de restreindre des rassemblements lorsque les circonstances locales l’exigent.
Les procédures d’enquêtes publiques pouvant donc être maintenues, les déplacements qu’elles occasionneront seront justifiés sur les fondements suivant :
Les procédures de concertation devraient également pouvoir se poursuivre.
Pour autant, ces procédures prévoyant nombre d’évènements en présentiel, il conviendra d’une part s’interroger sur le processus juridique d’adaptation des modalités de concertation et la nature des mesures adaptatives desdites modalités.
Il ressort des dispositions du décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020 que concernant les procédures de concertation, en dehors des modalités dématérialisées autorisées sans contraintes, semblent envisageables dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire en l’état actuel des textes, pour un événement indispensable à la continuité de la vie de la Nation, sous réserve du respect de la jauge des six personnes et des mesures d’hygiène :
Comme relevé supra, la question de la légalité d’un rassemblement de plus de six personnes pour un événement indispensable à la continuité de la vie de la Nation, dans le respect des mesures sanitaires au sein d’un établissement recevant du public non interdit par le décret comme les administrations (Les administrations sont classées en établissement de type W dans la liste des ERP) mériterait d’être éclaircie, même si dans tous les cas le préfet de département est habilité à interdire ou à restreindre, par des mesures réglementaires ou individuelles, tout rassemblement, réunion ou activité mettant en présence de manière simultanée plus de six personnes sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public autorisé lorsque les circonstances locales l’exigent.
La concertation est un mode de gouvernance destiné à instituer un cadre d’échanges avec les citoyens, en amont et durant toute la phase de conception d’un projet.
Elle doit respecter les principes suivants fixés par l’article L. 120-1 du code de l’environnement et permettre au public :
Il apparaît donc que la concertation repose sur un principe essentiel d’échanges contradictoires entre le public et le maître d’ouvrage.
La concertation doit donc prévoir des modalités adaptées au public visé afin que l’ensemble de la population soit mis en mesure de s’approprier le projet et de participer au débat qui l’entoure.
A cet égard, le 4 mai 2020 puis en novembre, la CNDP a publié un document de positionnement relatif aux principes, formes et modalités du débat public pendant l’épidémie Covid-19, transposable à toutes les procédures de concertation.
D’emblée, elle indique que « Le seul recours aux outils numériques ne permettrait pas de respecter les exigences du droit à l’information et à la participation. La crise sanitaire a, en effet, remis en lumière les grandes inégalités d’accès au numérique. ».
En relevant que 14% des ménages n’ont pas accès à internet à leur domicile dans les plus petites agglomérations, que 53% des personnes de plus de 75 ans et 34% des personnes sans diplôme ou titulaires d’un certificat d’études primaire n’ont pas d’accès au numérique chez elles, la CNDP conclut que l’exclusion totale de certaines catégories de populations des démarches participatives serait totalement contraire aux exigences constitutionnelles et législatives.
Compte tenu de l’accès inégal aux technologies de télécommunication, la mise en place d’une procédure de concertation totalement dématérialisée pourrait être contestée au motif d’une atteinte au droit pour le public d’accéder aux informations pertinentes permettant sa participation effective.
A l’instar des procédures d’enquête publique, il convient donc d’aménager un dispositif de concertation hybride respectueux des quotas en présentiels et garantissant tout de même l’accès de chacun aux informations et la possibilité de s’exprimer et de voir ses observations prises en compte.
La CNDP prône un renforcement des exigences :
Dans son avis de novembre 2020, elle présente également cinq points d’attention pour garantir le strict respect des principes de la concertation :
1) Garantir un temps adapté et suffisant pour permettre aux citoyens de s’exprimer
Elle précise que « des calendriers trop raccourcis ou contraints de participation, plus spécifiquement dans le contexte actuel, ne permettraient pas une correcte information et participation du public. »
2) Recueillir l’avis des publics les plus éloignés et davantage fragilisés par l’épidémie
« Pendant cette période exceptionnelle, les outils doivent être suffisamment diversifiés pour s’adresser à des publics aux profils différents ». Le tout dématérialisé exclurait les résidents des zones blanches et les personnes peu accoutumés aux plateformes participatives.
3) Permettre des moments d’échanges qualitatifs
La concertation ne doit pas se limiter à un recueil d’avis. Selon la CNDP : « Cet objectif exige la mise en place d’outils qui favorisent non seulement l’expression individuelle, mais aussi et surtout l’échange d’arguments et le débat entre concitoyens. »
4) Maintenir des dispositifs permettant une interpellation ou un questionnement des porteurs du projet
5) Différencier les outils proposés
Pour la CNPD : « Les plateformes participatives et les consultations en ligne ne peuvent pas assurer à elles seules un tour des arguments et des points de vue suffisant pour éclairer le décideur. »
Si la CNDP insiste sur ces cinq points d’alerte, elle rappelle que les autres bonnes pratiques du débat demeurent fondamentales : structurer le débat dans le temps, et en rendre compte de manière transparente ; rendre accessible et compréhensible l’information communiquée par le responsable du projet ou du plan…
Elle insiste également sur la nécessaire mobilisation préalable par la presse, les newsletters, les contenus sponsorisés des réseaux sociaux ou encore les médias régionaux (télévision et radio).
En l’état actuel des textes en vigueur les procédures de concertation ne sont donc pas suspendues mais elles devront être nécessairement aménagées afin de répondre aux exigences sanitaires prévues par le décret n° 2020-1310.