30avril 2021

L’annulation d’un arrêté de dérogation « espèces protégées » n’exempte pas l’exploitant de régulariser sa situation en dépit de l’exécution de l’acte annulé.

Par un arrêt du 28 avril 2021 mentionné aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’État a précisé les conséquences de l’annulation d’une dérogation « espèces protégées » ayant trouvé exécution, vis-à-vis de l’administration et de l’exploitant.

Conseil d’État, 28 avril 2021, n° 440734

En l’espèce, une société est exploitante d’une carrière de roches massives calcaires, dans le Doubs.

Son activité avait fait l’objet d’un arrêté d’autorisation d’exploitation en date du 29 octobre 2015, qui avait été complété par un arrêté du 9 mars 2018.

Eu égard à la présence d’espèces protégées et de boisements, la société avait également sollicité une autorisation de dérogation au régime de protection des espèces en application de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, qui lui avait été accordée par arrêté préfectoral en date du 14 novembre 2014.

Saisi d’un recours en annulation de la dérogation « espèces protégées », le Tribunal administratif de Besançon avait donné raison aux requérants et prononcé l’annulation de l’arrêté par un jugement du 21 septembre 2017, au motif que ce dernier était insuffisamment motivé.

Conséquemment, la société a demandé l’obtention d’une nouvelle dérogation, délivrée le 26 décembre 2017, et derechef annulée par le Tribunal administratif de Besançon, par un jugement en date du 4 juillet 2019 au motif que la dérogation accordée n’était pas justifiée par une raison impérative d’intérêt public majeur.

Pour mémoire, le principe en matière de dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées repose sur la démonstration d’un triptyque détaillé par l’article L. 411-2 du code de l’environnement en vertu duquel sont exigées :

  • L’absence de solution alternative satisfaisante,
  • L’absence d’atteinte au maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle,
  • La justification de l’un des cas dans lesquels une dérogation peut être octroyée (susceptible d’être un intérêt de nature sociale ou économique).

Compte tenu de l’annulation contentieuse de la dérogation, le préfet du Doubs a fait application des dispositions de l’article L. 171-7 du code de l’environnement aux termes desquelles :

« I.- Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, lorsque des installations ou ouvrages sont exploités, des objets et dispositifs sont utilisés ou des travaux, opérations, activités ou aménagements sont réalisés sans avoir fait l’objet de l’autorisation, de l’enregistrement, de l’agrément, de l’homologation, de la certification ou de la déclaration requis en application du présent code, ou sans avoir tenu compte d’une opposition à déclaration, l’autorité administrative compétente met l’intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu’elle détermine, et qui ne peut excéder une durée d’un an.

Elle peut, par le même acte ou par un acte distinct, suspendre le fonctionnement des installations ou ouvrages, l’utilisation des objets et dispositifs ou la poursuite des travaux, opérations, activités ou aménagements jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la déclaration ou sur la demande d’autorisation, d’enregistrement, d’agrément, d’homologation ou de certification, à moins que des motifs d’intérêt général et en particulier la préservation des intérêts protégés par le présent code ne s’y opposent. […] »

Sur le fondement de cet article, le Préfet a, par un arrêté du 4 novembre 2019 :

  • Mis en demeure la société de régulariser sa situation administrative, soit en cessant son activité, soit en déposant une nouvelle demande d’autorisation environnementale,
  • Suspendu le fonctionnement de la carrière exploitée par cette société jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la régularisation demandée.

C’est sur ce dernier arrêté que porte la décision du Conseil d’État.

La société a en effet sollicité la suspension de cette décision pour la partie de la carrière dans laquelle l’arrêté de dérogation avait d’ores et déjà trouvé application, au motif qu’en l’absence d’espèces protégées – liée in fine au défrichement et à la mise à nu de la zone – il n’y avait plus lieu de solliciter une régularisation.

La société faisait en effet valoir que l’exploitation de la partie sud du site, sur 4,5 hectares, destinée à la première phase d’exploitation, ne nécessitait pas une nouvelle dérogation dès lors que cette zone ne comportait plus d’espèces protégées puisqu’elle avait été défrichée et décapée jusqu’au toit du gisement sur le fondement d’une autorisation de défrichement devenue définitive et de la dérogation alors en vigueur.

De manière inattendue, le Tribunal administratif de Besançon a donné raison à la société exploitante par une ordonnance du 31 octobre 2019.

Saisis en cassation par la ministre de la transition écologique et solidaire, les Sages ont retoqué l’ordonnance contestée.

Ils ont relevé notamment, sur le fondement des articles L. 511-1, L. 411-2, L. 181-1 et L. 171-7 du code de l’environnement que, « lorsque la dérogation au régime de protection des espèces protégées prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement et délivrée en vue de permettre l’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement, ou la partie de l’autorisation environnementale en tenant lieu, a fait l’objet d’une annulation contentieuse, il appartient au préfet de mettre en oeuvre les pouvoirs qu’il tient de l’article L. 171-7 du code de l’environnement précité en mettant l’exploitant en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu’il détermine et, le cas échéant, en édictant des mesures conservatoires pouvant aller jusqu’à la suspension de l’exploitation de l’installation en cause jusqu’à ce qu’il ait statué sur une demande de régularisation. Saisi d’une telle demande, il lui appartient d’y statuer en tenant compte de la situation de droit et de fait applicable à la date à laquelle il se prononce, notamment en tirant les conséquences de la décision juridictionnelle d’annulation et de l’autorité de chose jugée qui s’y attache, le cas échéant en abrogeant l’autorisation d’exploiter ou l’autorisation environnementale en tenant lieu. »

Le Conseil d’État valide ainsi la mise en œuvre des mesures et sanctions administratives par le Préfet.

Allant plus loin dans sa démonstration, la Juridiction souligne que « dans l’hypothèse où, en raison des travaux réalisés notamment sur le fondement de la dérogation au régime de protection des espèces protégées prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement avant qu’elle ne soit annulée pour un motif de fond, la situation de fait, telle qu’elle existe au moment où l’autorité administrative statue à nouveau, ne justifie plus la délivrance d’une telle dérogation, il incombe cependant au préfet de rechercher si l’exploitation peut légalement être poursuivie en imposant à l’exploitant, par la voie d’une décision modificative de l’autorisation environnementale si elle existe ou par une nouvelle autorisation environnementale, des prescriptions complémentaires. Ces prescriptions complémentaires comportent nécessairement les mesures de compensation qui étaient prévues par la dérogation annulée, ou des mesures équivalentes, mais également, le cas échéant, des conditions de remise en état supplémentaires tenant compte du caractère illégal des atteintes portées aux espèces protégées, voire l’adaptation des conditions de l’exploitation et notamment sa durée. »

Il suit de ce raisonnement que le préfet est invité à s’interroger sur la possibilité de poursuivre l’exploitation et dans quelles conditions.

En outre, l’annulation d’une dérogation « espèces protégées » n’exempte pas l’exploitant de mettre en œuvre les mesures de compensation qui étaient prescrites dans la dérogation, ou des mesures équivalentes ainsi que des mesures spécifiques de remise en état du site.

Au cas présent, il est possible de s’interroger sur la faisabilité de la remise en état d’une carrière.

En toute occurrence, il importera de suivre l’affaire au fond, voire son volet pénal.

 

 

 

Cabinet Coudray Publié le 30/04/2021 dans # Veille juridique