Le Tribunal administratif d’Orléans a considéré que le projet de déviation routière de Jargeau, comprenant un ouvrage de franchissement de la Loire, qui permet de favoriser la sécurité publique et de réduire les nuisances sanitaires revêtait un intérêt public majeur.
Tribunal administratif d’Orléans, 15 avril 2021, n° 1803356 – communiqué de presse
Le Tribunal administratif d’Orléans a rendu le 15 avril dernier deux nouvelles décisions dans le cadre du contentieux relatif au projet de déviation de Jargeau et la construction d’un pont sur la Loire, qui oppose le Département du Loiret et deux associations depuis de nombreuses années.
L’une de ces deux décisions vient utilement compléter la jurisprudence en matière de dérogation à l’interdiction de destruction, perturbation intentionnelle, capture d’espèces animales protégées et destruction, altération, dégradation de leurs aires de repos ou sites de reproduction.
Le principe applicable en la matière est établi à l’article L. 411-1 du code de l’environnement, lequel interdit toute destruction d’espèces protégées et de leurs habitats et toute perturbation de leur cycle biologique. L’article L 411-2 autorise la délivrance de dérogation au principe, sous réserve du respect de trois conditions cumulatives :
La notion de « raisons impératives d’intérêt public majeur » (RIIPM) s’avère complexe à appréhender car elle n’est définie ni par les textes européens, ni par les textes internes, et relève d’une importante casuistique.
La Cour de justice de l’Union européenne en a néanmoins fixé les grandes lignes. Elle a ainsi jugé que, s’agissant d’une dérogation à l’application de la directive Habitats, l’article 16 de la directive, relatif à la dérogation, devait être « interprété de manière restrictive ». Elle a également précisé que, pour être qualifié d’intérêt public majeur, le projet devait être « d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels de la faune et de la flore sauvage poursuivi par la directive ».
Inscrite dans la lignée de la jurisprudence européenne, la jurisprudence nationale est en construction. Plusieurs décisions, rendues ces dernières années, ont laissé augurer une restriction du champ d’application du régime dérogatoire alors que d’autres arrêts récents tendent vers une reconnaissance facilitée de la condition de la RIIPM.
En l’espèce, dans la décision commentée, s’inscrivant dans la seconde mouvance, le Tribunal administratif d’Orléans a rejeté la requête des associations tendant à l’annulation de l’arrêté préfectoral portant dérogation « espèces protégées ». La mise en balance de l’importance du projet avec l’objectif de conservation des habitats l’a conduit à reconnaitre le caractère d’intérêt public majeur de ce dernier en raison des avantages qu’il présente, tant en termes de sécurité publique que de réduction des nuisances sanitaires.
Le Tribunal a d’abord rappelé les principes jurisprudentiels désormais applicables à la dérogation :
« il résulte des dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement qu’un projet de travaux, d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leur habitat ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, tels que notamment le projet urbain dans lequel il s’inscrit, à une raison impérative d’intérêt public majeur. En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. Il s’ensuit que l’intérêt de nature à justifier, au sens du c) du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, la réalisation d’un projet doit être d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage poursuivi par la législation, justifiant ainsi qu’il y soit dérogé. Ce n’est qu’en présence d’un tel intérêt que les atteintes portées par le projet en cause aux espèces protégées sont prises en considération, en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, afin de vérifier s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et si la dérogation demandée ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle »
De ces principes appliqués à l’espèce, les juges en ont déduit que :
« le projet en litige de déviation entre les communes de Jargeau et de Saint-Denis de l’Hôtel consiste en des aménagements routiers déclarés d’utilité publique en raison des avantages qu’ils présentent, tant en termes de sécurité publique que d’amélioration du cadre de vie des habitants de communes qui subissent, depuis de nombreuses années, des nuisances liées à un trafic de transit composé de nombreux poids lourds, passant par le centre-ville et à proximité d’établissements sensibles tels des écoles, et occasionnant, au-delà de problèmes de sécurité, d’importantes nuisances (sonores, vibration, pollution). La réalisation de ce projet qui vise à remédier à la saturation du trafic notamment des poids-lourds sur la RD 921 et la RD 14, trafic qui pourrait croître sous l’effet de nouvelles opérations au sud d’Orléans, en réorientant ce trafic vers des axes interdépartementaux comme les RD 2060 et 14, permettra de sécuriser et fluidifier un itinéraire quotidiennement saturé aux heures de pointe et dotera le territoire d’un ouvrage permettant un renforcement du plan d’évacuation des populations en cas d’inondation. Ces éléments non sérieusement contredits caractérisent des raisons impératives d’intérêt public majeur liées à la sécurité et à la santé publiques au sens des dispositions de l’article L. 411-2 du code de l’environnement »
Le Tribunal a pris en compte les avantages tirés notamment de la réduction du trafic des poids-lourds en centre-ville et à proximité d’écoles et de la réduction des nuisances qu’elle engendrera. Il a considéré que ces avantages liés à la sécurité et à la santé publiques, constituaient des raisons impératives d’intérêt public majeur. La première condition de la dérogation était donc remplie en l’espèce.
S’agissant des deux autres conditions, le Tribunal a estimé qu’il n’existait pas de solution alternative pour l’implantation du projet en cause et que les associations ne démontraient pas que les mesures compensatoires prévues étaient insuffisantes puis en a déduit que les dérogations accordées ne nuisaient pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations visées par l’arrêté dans leur aire de répartition naturelle.
Ainsi, le Tribunal administratif d’Orléans a considéré que les trois conditions cumulatives prévues à l’article L.411-2 du code de l’environnement pour accorder une dérogation qui étaient remplies, rejetant la requête des requérantes.
Le débat n’est cependant pas clos, les associations déboutées ayant indiqué vouloir interjeter appel de cette décision.
Illustration : Le projet de franchissement de la Loire – Source : https://www.deviationjargeau.fr