17juin 2024

Article rédigé par Guillaume GEFFROY, Avocat et Guillaume LE TORTOREC, Alternant au Cabinet Coudray UrbanLaw

 

Le conseil d’État par une décision du 7 juin 2024 (n° 472662) a été amené à se prononcer sur le champ d’application de l’interruption du délai de forclusion en matière de garantie décennale des constructeurs dans le cadre de demandes d’extension des opérations d’expertise.

En l’espèce, une communauté de communes a passé un ensemble de marchés publics de travaux en vue de la construction d’un centre nautique intercommunal.

Après réception des travaux et levée des réserves, des désordres sont apparus sur l’ouvrage. Le 17 août 2007, la communauté de commune a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nancy, la désignation d’un expert judiciaire afin d’engager la responsabilité décennale de certains constructeurs. Les opérations d’expertises ont ensuite été étendues à d’autres constructeurs à la demande de la communauté de communes ou d’autres intervenants.

La communauté de commune a, le 17 mars 2016, introduit une requête au fond, rejetée par jugement du 13 mars 2018, au motif car elle n’avait pas justifié de la qualité à agir en justice de son président. L’appel et le pourvoi ont ensuite tous deux étés rejetés.

Toutefois, juste après la séance publique devant le TA, la communauté de communes a de nouveau saisi le Tribunal administratif de Nancy afin de faire condamner solidairement les constructeurs en paiement à 881 970€. Le Tribunal a condamné partiellement les constructeurs au paiement de diverses sommes sur le fondement de la garantie décennale mais a rejeté les autres conclusions de la collectivité.

Par la suite, l’appel de cette décision formé par la communauté de communes a été rejeté par la cour administrative d’appel de Nancy par un arrêt du 2 février 2023.

La communauté de communes se pourvoit en cassation à l’encontre de cette décision.

Dans cette décision, le conseil d’État vient tout d’abord rappeler le principe de l’interruption du délai de forclusion en matière de garantie décennale en exposant le contenu de l’article 2244 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 :

« une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu’on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir ».

Par voie de conséquence, il vient en tirer :

« Il résulte de ces dispositions, applicables à la responsabilité décennale des architectes et des entrepreneurs à l’égard des maîtres d’ouvrage public, qu’une citation en justice, au fond ou en référé, n’interrompt le délai de prescription que pour les désordres qui y sont expressément visés et à la double condition d’émaner de celui qui a qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait ».

Cette rédaction entrainerait l’impossible interruption de la forclusion de la garantie décennale en cas d’extension des opérations d’expertise judiciaire sans demande directe du requérant ou sans demande de s’y associer (CE, 20 novembre 2020, n°432678).

Sur ce point, rappelons l’article R. 532-3 du Code de justice administrative :

« Le juge des référés peut, à la demande de l’une des parties formée dans le délai de deux mois qui suit la première réunion d’expertise à laquelle elle a été convoquée, ou à la demande de l’expert formée à tout moment, étendre l’expertise à des personnes autres que les parties initialement désignées par l’ordonnance, ou mettre hors de cause une ou plusieurs des parties ainsi désignées.

Il peut, dans les mêmes conditions, étendre la mission de l’expertise à l’examen de questions techniques qui se révélerait utile à la bonne exécution de cette mission, ou, à l’inverse, réduire l’étendue de la mission si certaines des recherches envisagées apparaissent inutiles ».

Ainsi,

  • le mémoire en extension du requérant, ou son association à une demande d’extension, dans le délai de deux mois suivant la première réunion d’expertise interrompt le délai de forclusion de garantie décennale ;
  • l’extension demandée par l’expert judiciaire après les deux mois suivant la première réunion n’interrompt aucun délai de prescription ou de forclusion pour l’ensemble des parties à la cause.

En l’espèce, la communauté de communes n’ayant pas été à l’origine des demandes d’extension de 2009 et de 2011, ni ne s’étant associée à celles-ci, elles n’ont pas eu pour effet d’interrompre le délai de forclusion de l’action en garantie décennale à son profit vis-à-vis des constructeurs et nouveaux intervenants aux opérations d’expertises.

Afin d’interrompre les délais de forclusion et de prescription, elle aurait dû produire au Tribunal un mémoire en extension s’associant à ces demandes d’extension.

Cette approche devrait également être la même s’agissant de la demande formulée par l’expert judiciaire, et non une partie, pour étendre à d’autres intervenants les opérations d’expertises.

Dans ce cadre, les parties ont tout intérêt à produire un mémoire en extension s’associant à l’extension afin d’interrompre les délais de prescription et de forclusion.

Le mémoire en extension n’est donc pas qu’un acte banalisé de procédure mais emporte toute ses conséquences juridiques afin d’interrompre utilement les délais de prescription et de forclusion et de préserver les droits de tels ou tels intervenants avant une action au fond.

Cabinet Coudray Publié le 17/06/2024 dans # Veille juridique