21novembre 2024

Les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux résultant de pathologies, notamment psychiques, qui trouvent leur origine dans le décès d’un proche survenu à la suite d’une faute commise par une personne publique, doivent être distingués du préjudice d’affection, et peuvent donner lieu à indemnisation.

C’est là le sens d’un très récent arrêt du Conseil d’État, n° 475952 du 7 novembre 2024, qui a cassé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de PARIS spécifiquement sur ce point.

En l’espèce, la Cour administrative d’appel de PARIS avait jugé que la pathologie – des troubles dépressifs chroniques d’intensité sévère – née chez un proche d’une personne décédée par suite d’une faute de l’administration ne pouvait pas donner lieu à indemnisation.

Pour la Cour, dès lors que le lien direct entre la pathologie contractée par le proche de la personne défunte et la faute commise par l’administration ne pouvait être établi, l’ensemble des préjudices associés ne pouvaient pas être indemnisés :

« 20. En second lieu, la survenue, chez les proches d’une victime décédée, de pathologies consécutives à ce décès portant atteinte à leur intégrité psychique ne peut être regardée comme la conséquence directe de la faute commise par la personne publique et ne saurait, dès lors, ouvrir un droit à réparation des préjudices résultant de ces pathologies. Par suite, Mme B… n’est pas fondée à solliciter l’indemnisation des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux qu’elle impute à la pathologie dépressive dont elle souffre. Il en résulte que les demandes tendant à l’indemnisation du déficit fonctionnel temporaire, du déficit fonctionnel permanent, du préjudice d’agrément et du préjudice d’établissement doivent être rejetées. Il en va de même des demandes d’indemnisation des frais de psychothérapie, des pertes de revenus, des pertes de droit à la retraite et de l’incidence professionnelle subies dans les suites de ses troubles dépressifs. » (CAA PARIS, 16 mai 2023, n° 21PA00218)

Si donc cette pathologie ne pouvait pas être indemnisée en tant que telle, non plus que l’ensemble de ses conséquences, la Cour estimait néanmoins que le préjudice d’affection pouvait, lui, donner lieu à l’indemnisation :

« 19. En premier lieu, il résulte de l’instruction, et notamment du rapport de l’expertise judiciaire réalisée Par un psychiatre et déposé le 19 octobre 2016, que Mme B… a présenté un état de stress post-traumatique aigu ainsi qu’un deuil traumatique pathologique, à l’origine de troubles dépressifs chroniques d’intensité sévère, du fait des circonstances traumatisantes du décès de son fils. Dans les circonstances de l’espèce, le préjudice d’affection de Mme B… inclut, outre la douleur morale liée au décès de son fils vivant à son domicile et auquel elle a assisté, le retentissement pathologique avéré, notamment dépressif, subi Par l’intéressée. Dès lors, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l’évaluant à la somme de 120 000 euros et en portant ainsi à 36 000 euros, après application du taux de perte de chance de 30 %, la somme de 30 000 euros allouée par les premiers juges. »

Les conséquences psychologiques du décès de ce proche pouvaient donc, selon la Cour, être indemnisées au titre du préjudice d’affection, mais les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux nés de la pathologie dépressive contractée par ce membre de la famille de la victime ne pouvaient pas l’être.

C’est cette exclusion de principe qui motive la cassation prononcée par le Conseil d’État :

« 2. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, pour statuer sur l’indemnisation due à Mme B…, la cour administrative d’appel a jugé que les préjudices résultant, pour elle, du décès de son fils devaient être indemnisés uniquement au titre de son préjudice d’affection, par le versement d’une somme forfaitaire majorée pour inclure, outre la douleur morale liée au décès de son fils, le retentissement pathologique avéré, notamment dépressif, qu’elle a subi, eu égard aux circonstances particulièrement traumatisantes du décès de son fils en sa présence et à son domicile, mais qu’en revanche, les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux découlant de sa pathologie dépressive étaient insusceptibles de donner lieu à indemnisation, en l’absence de lien direct avec les fautes commises.

3. En excluant ainsi par principe que les préjudices résultant de l’atteinte à l’intégrité psychique consécutive au décès d’un proche puissent être en lien direct avec les faits à l’origine de ce décès, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit. Mme B… est, dès lors, fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque, en tant qu’il a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires. Compte tenu du lien fait par la cour entre le refus d’indemnisation de certains postes de préjudice et l’allocation d’une somme majorée au titre du préjudice d’affection, cette annulation doit emporter, par voie de conséquence, également l’annulation de l’arrêt en tant qu’il a statué sur ce dernier poste de préjudice. (…) » (CE, 7 novembre 2024, n° 475952)

Ce faisant le Conseil d’État retient une approche moins restrictive du lien entre la faute de l’administration et les différents préjudices consécutifs au deuil pathologique.

Par cette décision, l’indemnisation des préjudices du proche de la victime d’une faute d’une personne publique s’en trouve nettement améliorée.

Des conclusions d’indemnisation du déficit fonctionnel temporaire, de la perte de revenus, des droits à la retraite, de l’incidence professionnelle, des frais médicaux peuvent, sous réserve qu’elles satisfassent aux autres critères requis, être effectivement accueillies.

Corrélativement, le préjudice d’affection se concentre sur la seule douleur morale, dépourvue de dimension pathologique.

Ce clarification n’est donc pas un jeu à somme nulle pour les proches de victimes : de nouveaux préjudices peuvent être indemnisés sans que le préjudice d’affection ne disparaisse ni n’inclue des éléments qui y sont étrangers.

Cabinet Coudray
François MARANI
Publié le 21/11/2024 dans # Veille juridique