13décembre 2022

Par un jugement n° 1903772 en date du 10 novembre 2022, le Tribunal administratif de Rennes est venu préciser le champ d’application de la garantie de parfait achèvement à des désordres esthétiques.

Pour rappel, en synthèse, l’article 44.1 du CCAG-Travaux prévoit que le titulaire d’un marché public de travaux est tenu à une obligation dite « obligation de parfait achèvement » (d’une durée d’un an à compter de la réception), au titre de laquelle il doit notamment :

– Exécuter les travaux ou prestations éventuels de finition ou de reprise réservés à la réception ;

– Remédier à tous les désordres signalés par le maître de l’ouvrage ou le maître d’œuvre, de telle sorte que l’ouvrage soit conforme à l’état où il était lors de la réception ou après correction des imperfections constatées lors de celle-ci.

En l’espèce, un Département avait confié à une entreprise des travaux de gros-œuvre pour la reconstruction d’un centre d’incendie de secours.

Or, des fissures étant apparues sur le dallage et les voiles bétons, ces désordres avaient été :

  • réservés à la réception ;
  • dénoncés dans le cadre de la garantie de parfait achèvement jusqu’à reprise des désordres.

Le titulaire se prévalait du fait que les fissures étaient inhérentes à la mise en œuvre du béton et que les documents contractuels n’imposaient pas un ouvrage sans fissures.

Le Tribunal administratif de Rennes, sur requête de notre cabinet, n’a pas suivi ce raisonnement et a considéré que, bien que les désordres puissent être inesthétiques et même en l’absence de faute du titulaire, celui-ci était tenu de réparer l’ensemble des imperfections et malfaçons réservés à la réception – ou dénoncés durant le délai de garantie de parfait achèvement – au motif que les documents contractuels prévoyaient bien une fissuration limitée des ouvrages réalisés :

  1. Il résulte de l’instruction et, notamment du rapport d’expertise, que les fissures affectant les murs en béton de la salle de sport et la dalle portée en béton avec quartz pour véhicules lourds du centre d’incendie et de secours de Fougères, apparues avant la réception de l’ouvrage, sont respectivement au nombre de 13 et 27 et qu’elles présentent une longueur de plusieurs mètres chacune. Elles ne peuvent dès lors être regardées comme résultant de l’usage ou de l’usure normale de l’ouvrage litigieux. Par ailleurs, la norme NF EN 1992-1-1 dite Eurocode 2, à laquelle renvoie le DTU 21 mentionné au cahier des clauses techniques particulières du marché, indique que les fissurations dans le béton doivent être limitées de sorte qu’elles ne rendent pas l’aspect de l’ouvrage inacceptable. En outre, le cahier des clauses techniques communes du marché mentionne parmi les points d’attention, d’une part, s’agissant des « voiles en béton armé épaisseur 25 » de la salle de sport (point 05.2.2.8) que les modes de coulage du béton doivent permettre d’éviter l’apparition de fissurations, et, d’autre part, s’agissant du « dallage porté quartz surcharge véhicules lourds » (point 05.2.2.7.3.5), correspondant au sol du local de remise des véhicules, que le parement supérieur doit présenter un « aspect lissé » et que « toutes dégradations de revêtement quartz (taches, épaufrures, etc…) relèvent de la responsabilité du présent lot [n°5]. ». Alors même que les fissures litigieuses seraient seulement inesthétiques et sans danger pour la structure du bâtiment, voire difficilement évitables dans ce type d’ouvrage, il doit être considéré que l’ouvrage livré était affecté, par rapport aux attentes contractuelles, de non-conformités justifiant l’émission de réserves à la réception.

  2. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées des articles 41 et 44 du cahier des clauses administratives générales que la responsabilité du titulaire du marché, contractuellement tenu à l’égard du maître de l’ouvrage de la bonne exécution de l’ensemble des travaux, est susceptible d’être engagée au titre de la garantie de parfait achèvement tant que les réserves émises dans le procès-verbal de réception n’ont pas été levées, et qu’en conséquence de cette obligation, qui s’étend à l’ensemble des imperfections et malfaçons relevées dans le procès- verbal de réception, quelles que soient leur nature et leur importance, à l’exception de celles qui sont dues à l’usure normale ou à l’usage du maître de l’ouvrage, il incombe au titulaire de prendre en charge le coût des travaux permettant d’y remédier, et ce, même en l’absence de faute de sa part. Par suite, et alors même qu’aucun manquement aux règles de l’art lors de l’exécution des travaux par la société Heude Bâtiment n’a été relevé par l’expert, la responsabilité de cette société doit être engagée sur le terrain de la garantie de parfait achèvement au titre des fissures constatées dans la salle de sport et la salle des véhicules lourds ».

Le Tribunal administratif de Rennes, par ce jugement particulièrement pédagogique, consacre qu’un désordre même esthétique puisse faire l’objet d’une réserve à la réception – ou d’une dénonciation dans le cadre de la garantie de parfait achèvement – dès lors que ce désordre caractérise une malfaçon eu égard aux obligations contenues dans les documents contractuels.

Dès lors, les acheteurs publics doivent être particulièrement vigilants, lors des opérations de réception et de la durée de la garantie de parfait achèvement, à dénoncer les désordres qu’ils estiment affectant l’ouvrage, même esthétiques, en prennent pour appui les CCTP des marchés de travaux, voir les normes y étant insérées à défaut de prescriptions particulières.

De même, au stade de la passation du marché, une attention particulière doit être portée sur les obligations contractuelles prévues au CCTP mais également aux normes de référence y étant intégrées afin de définir le plus précisément possible les attentes du maître d’ouvrage sur la qualité des travaux mis en œuvre et les obligations contractuelles du titulaire.

En définitif, eu égard aux délais imposés par le CCAG-Travaux pour permettre l’engagement de la responsabilité contractuelle des titulaires de marchés publics – réserves à la réception et garantie de parfait achèvement -, il est vivement conseillé aux acheteurs publics de dénoncer tout désordre à titre conservatoire, quitte à réaliser une analyse plus fine des obligations contractuelles du titulaire par la suite, voir, le cas échéant suivant l’importance des désordres, de diligenter une expertise judiciaire.

Les Collectivités doivent donc prendre la mesure que les désordres affectant un ouvrage, mêmes minimes ou esthétiques, n’emportent pas nécessairement une absence de responsabilité, et donc de réparation, des intervenants à la construction.

 

 

Cabinet Coudray
Guillaume GEFFROY
Publié le 13/12/2022 dans # Veille juridique