Le 13 février 2019 la première chambre civile de la Cour de cassation a confirmé la propriété de l’État sur le « fragment à l’Aigle » provenant de la Cathédrale de Chartres et acquis en 2002 par une société privée.
La genèse de l’affaire remonte à l’année 1763 au cours de laquelle le jubé de la cathédrale de Chartres a été démantelé. Dans les années qui suivirent, une partie du bas-relief résiduel a été découpé et utilisé comme pavement du chœur de chanoines puis recouvert de marbre au cours des réfections successives.
Le 4 juin 1836, la cathédrale a été partiellement incendiée. Lors de la reprise du dallage du chœur des chanoines en 1837, deux bas-reliefs provenant du jubé ont été découvert. Dix ans plus tard, un architecte chargé de la rédaction d’une monographie de la cathédrale a obtenu l’autorisation du ministre, alors compétent, pour procéder à des fouilles autour du chœur afin de retrouver d’autres éléments du jubé. Il a fait déposer l’intégralité du dallage devant l’entrée principale et une partie devant l’entrée latérale nord et devant l’entrée sud.
Ce sont ces derniers travaux qui ont révélé l’existence de plusieurs fragments de bas-relief, parmi lesquels celui objet du litige composé d’animaux symboliques.
Le « fragment à l’Aigle » a été acquis en 2002 par une galerie parisienne Brimo de Laroussilhe. Cette dernière l’a ensuite proposé à l’État en 2003 pour la somme de 2,3 millions d’euros.
L’État a classé le fragment du jubé trésor national en vue de trouver des mécénats pour en faire l’acquisition et a présenté une offre d’un million d’euros au galeriste.
Faute d’accord sur le prix, l’État a décidé d’engager une action en revendication de propriété devant les juridictions judicaires.
Le litige avait donc pour objet de déterminer si le fragment appartenait au domaine public mobilier de l’État et bénéficiait à ce titre des principes protecteur d’inaliénabilité et imprescriptibilité et depuis codifiés à l’article L. 3111-1 du CG3P.
Rappelons que le domaine public mobilier d’une personne publique est défini depuis 2006 à l’article L. 2112-1 du CG3P :
« Sans préjudice des dispositions applicables en matière de protection des biens culturels, font partie du domaine public mobilier de la personne publique propriétaire les biens présentant un intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique, notamment :
1° Un exemplaire identifié de chacun des documents dont le dépôt est prescrit aux fins de constitution d’une mémoire nationale par l’article L. 131-2 du code du patrimoine ;
2° Les archives publiques au sens de l’article L. 211-4 du code du patrimoine ;
3° Les archives issues de fonds privés entrées dans les collections publiques par acquisition à titre onéreux, don, dation ou legs ;
4° Les biens archéologiques mobiliers devenus ou demeurés propriété publique en application du chapitre 3 du titre II, des chapitres Ier et VI du titre IV du livre V du code du patrimoine ;
5° Les biens culturels maritimes de nature mobilière au sens du chapitre 2 du titre III du livre V du code du patrimoine ;
6° Les objets mobiliers classés ou inscrits au titre du chapitre 2 du titre II du livre VI du code du patrimoine ou situés dans un immeuble classé ou inscrit et concourant à la présentation au public de parties classées ou inscrites dudit immeuble ;
7° Les objets mobiliers autres que ceux mentionnés au 6° ci-dessus, présentant un intérêt historique ou artistique, devenus ou demeurés propriété publique en application de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat ;
8° Les collections des musées ;
9° Les œuvres et objets d’art contemporain acquis par le Centre national des arts plastiques ainsi que les collections d’œuvres et objets d’art inscrites sur les inventaires du Fonds national d’art contemporain dont le centre reçoit la garde ;
10° Les collections de documents anciens, rares ou précieux des bibliothèques ;
11° Les collections publiques relevant du Mobilier national et de la Manufacture nationale de Sèvres ».
La Cour de cassation, après avoir transmis une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel (Cons. const. 26 oct. 2018, n° 2018-749 QPC), rappelle qu’aucun droit de propriété sur un bien appartenant au domaine public ne peut être valablement constitué au profit de tiers et que ce bien ne peut faire l’objet d’une prescription acquisitive par application de la règle « en fait de meubles, la possession vaut titre » (Article 2276 du code civil).
Peu importe que les possesseurs successifs soient ou non de bonne foi.
La Haute juridiction ajoute même que les dispositions de l’article L. 3111-1 du CG3P présentent l’accessibilité, la clarté et la prévisibilité requises par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et permettant à l’État de retrouver la plénitude de son droit de propriété sans aucune contrepartie financière pour la personne dépossédée.
Ainsi, dès lors qu’il est établi qu’avant son extraction en 1848, le fragment faisait partie intégrante de la Cathédrale à une époque où le bâtiment relevait du domaine public immobilier de l’État (car postérieur au décret des biens du clergé mis à la disposition de la Nation pris le 2 novembre 1789), ledit fragment n’a pu qu’intégrer le domaine public mobilier de l’État en raison de son indéniable intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art et de l’archéologie.
En conséquence la Cour de cassation rejette le pourvoi confirmant ainsi la propriété de l’État sur le « fragment à l’Aigle » de la Cathédrale de Chartes.