18novembre 2024

 

 

 

La personne publique propriétaire d’une parcelle ne peut faire échec au caractère privé d’une voie et créer un accès à celle-ci sans solliciter l’accord des propriétaire de celle-ci. Tel est le sens de l’arrêt très récemment rendu par le Conseil d’État.

Ces voies privées sont singulières en ce qu’elles n’appartiennent pas à une personne publique mais à une ou plusieurs personnes privées, qui peuvent recourir à des moyens juridiques particuliers pour en assurer la gestion, telles que les associations syndicales libres (ASL) et les associations syndicales autorisées (ASA).

Si les litiges relatifs à l’accès à une voie publique depuis une propriété privée sont relativement fréquents, ceux relatifs à l’accès à une voie privée depuis une propriété publique sont nettement plus rares.

Néanmoins, compte tenu de l’importance du nombre de ces voies dans certaines communes – 23% de toutes les voies de la commune de Nantes, 28% de celles de Marseille[1] – ce type de litige n’est pas inédit.

Le régime de l’accès de ces voies privées est largement fixé par la jurisprudence.

Le consentement du ou des propriétaires quant à l’ouverture à la circulation publique est ainsi nécessaire. Celui-ci peut néanmoins être tacite, et résulter seulement de l’absence de barrière (CE, 15 février 1989, n° 71992). La police de la circulation ne peut donc s’exercer que dans la mesure où les propriétaires de cette voie l’acceptent, puisque ces derniers sont « en droit d’en interdire à tout moment l’usage au public » ainsi que l’admet le juge administratif (CE, 5 novembre 1975, n° 93815).

Cette relative protection des droits des propriétaires d’une voie privée se prolonge dans le cas où une personne publique est propriétaire d’une parcelle desservie par une rue privée.

C’est ce qu’a récemment considéré le Conseil d’État dans un arrêt n° 490521 du 25 octobre 2024 mentionné aux tables :

« 4. Une commune ne saurait, sans porter d’atteinte illégale au droit de propriété, ouvrir, à partir d’un terrain communal, un accès à une voie privée non ouverte à la circulation publique, sauf à avoir obtenu le consentement des propriétaires de cette voie. »

La première application de cette nouvelle hypothèse révèle que le juge du fond disposera d’une très grande liberté pour apprécier, dans les circonstances de l’espèce, si un tel accès est effectivement créé.

De plus, le Conseil d’État entend nettement distinguer, d’une part, la création d’un accès public à cette voie depuis cette propriété privée et, d’autre part, l’accès à cette propriété publique depuis cette voie privée, notamment lorsque la personne publique est co-propriétaire de cette voie.

Tandis que dans le premier cas, la personne publique agit en tant que telle et doit effectivement obtenir le consentement du propriétaire de la voie, elle n’est, dans l’autre cas, qu’un propriétaire parmi d’autres, qui ne peut donc ouvrir à la circulation générale cette voie par la création de cet accès :

« 5. En premier lieu, la cour s’est, sans erreur de droit, livrée à une appréciation souveraine des faits de l’espèce, exempte de dénaturation, en jugeant que les travaux d’aménagement en cause avaient pour effet d’ouvrir la rue des Bleuets à la circulation publique, la circonstance que la barrière d’enceinte du square, à travers laquelle l’accès en litige a été réalisé, soit en léger retrait par rapport à la limite des parcelles sur lesquelles le square a été aménagé étant en l’espèce dépourvue d’incidence.

6. En deuxième lieu, il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour s’est fondée, pour juger illégale la décision litigieuse, non sur les termes de de la convention de droit privé du 24 janvier 1911 conclue entre les copropriétaires de la voie privée, mais sur l’absence de consentement des copropriétaires de cette voie. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en appréciant la légalité de la décision communale au regard de cette convention de droit privé ne peut, en tout état de cause, qu’être écarté.

7. En troisième lieu, la commune de La Garenne-Colombes ne peut utilement soutenir, à titre subsidiaire, que la cour aurait commis une erreur de droit et dénaturé les faits et les pièces du dossier qui lui était soumis en retenant qu’elle avait illégalement procédé à l’ouverture à la circulation publique de la rue des Bleuets, alors qu’en vertu des stipulations de la convention du 24 janvier 1911, elle dispose, en sa qualité de propriétaire de terrains desservis par cette rue, d’un droit de circulation et de desserte, dont l’exercice n’est pas subordonné à l’accord des autres indivisaires, dès lors que de telles possibilités d’usage dont disposerait une personne publique en tant que membre de l’indivision ne sauraient se confondre avec la possibilité d’autoriser un usage pour la circulation publique. »

Sans innover sur le plan des principes, cet arrêt s’inscrit dans la jurisprudence jusqu’à présent dégagée. Le Conseil d’État veille ainsi scrupuleusement à ce que la collectivité ne puisse pas faire échec à la protection dont bénéficie la propriété privée des riverains de cette voie.

[1] Y. Le Gallic et F. Madoré, « Les voies privées à Nantes », Cahiers Nantais [En ligne], 2 | 2008, mis en ligne le 25 janvier 2021 ; F. Madoré, « Les rues privées à Nantes : marqueur sociospatial et régulation de la place de l’automobile dans la ville ? », L’Espace géographique, 2021, T. 50(1), 24-44.

Cabinet Coudray
François MARANI
Publié le 18/11/2024 dans # Veille juridique