Intangibilité, révision sèche, imprévision – le Conseil d’État donne son avis les possibles modifications du prix des contrats de la commande publique
Les contrats de la commande publique en cours d’exécution ou en voie de conclusion sont fortement impactés par les circonstances actuelles, notamment par la hausse du coût des matières premières et de l’énergie. Dans ce contexte, le Premier ministre publiait le 30 mars dernier une circulaire faisant valoir le principe d’intangibilité du prix et confirmant l’impossibilité de renégocier uniquement les prix :
« L’acheteur ne doit pas utiliser ces dispositions pour modifier par voie d’avenant les clauses fixant le prix lorsque cette modification du prix n’est pas liée à une modification du périmètre, des spécifications ou des conditions d’exécution du contrat. »
Depuis, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a saisi le Conseil d’État d’une demande d’avis relative aux possibilités de modifications du prix ou des tarifs des contrats de la commande publique et aux conditions d’application de la théorie de l’imprévision.
Le 15 septembre 2022, le Conseil d’État réuni en Assemblée générale, rendait son avis, n° 405540. Saisi de cinq questions, l’apport de cet avis réside essentiellement dans les deux points suivants :
Les Hauts conseillers précisent que les dispositions du code de la commande publique, notamment des articles L. 2112-6 et R. 2112-7, dont il résulte que le prix convenu est en principe définitif, n’ont pas pour portée de restreindre les possibilités de modification d’un marché ou d’une concession, autorisées et encadrées par les articles L. 2194-1 et suivants et R. 2194-1 et suivants pour les marchés et L. 3135-1 et suivants et R. 3135-1 et suivants pour les concessions.
En d’autres termes, le Conseil d’État estime, en conséquence, que le caractère en principe définitif des prix des marchés et concessions ne fait pas obstacle à leur modification en application, et dans le respect, des dispositions précitées et que : « rien n’empêche que les modifications des marchés et contrats de concession portent uniquement, en vue de compenser les surcoûts que le titulaire ou le concessionnaire subit du fait de circonstances imprévisibles, sur les prix ou les tarifs prévus au contrat ainsi que sur les modalités de leur détermination ou de leur évolution. ».
S’agissant de la durée, il est précisé que les dispositions du code de la commande publique, notamment celles de l’article R. 2112-4, ne font guère plus obstacle à la modification de la seule durée du contrat : « ainsi, des prolongations du contrat, sans nouvelle procédure de mise en concurrence, sont possibles si elles peuvent être regardées, au sens des dispositions citées comme des modifications rendues nécessaires par des circonstances imprévisibles ou des modifications non substantielles ou de faible montant. »
Certaines limites sont néanmoins rappelées. S’agissant des modifications rendues nécessaires par des circonstances imprévisibles :
Aussi, la modification de faible montant sur le fondement des articles R. 2194-8 3) et R. 3135-8 4) du code autorise également une modification sèche du prix ou de ses conditions d’évolution, des tarifs ou de la durée mais l’acheteur ne saurait compenser même partiellement, la part de l’aggravation des charges qui n’excède pas celle que les parties avaient prévu ou auraient dû raisonnablement prévoir.
Cela renvoie au fait que, lors de la négociation de modifications rendues nécessaires par des circonstances imprévisibles, l’acheteur doit s’attacher au respect des principes généraux d’égalité devant les charges publiques, de bon usage des deniers publics et d’interdiction des libéralités.
Par ailleurs, le dispositif de modification non substantielle tiré des articles R. 2194-7 5) et R. 3135-7 6) exclut celui des modifications pour circonstances imprévues.
Enfin, une précision est apportée quant au fait que les marchés et concessions peuvent être modifiés afin d’y introduire une clause de variation des prix ou de réexamen si le contrat n’en contient pas, ou de faire évoluer une clause existante qui se serait révélée insuffisante.
Dans un second temps, la Section de l’administration explique que l’indemnisation sur le fondement de la théorie de l’imprévision est un droit pour le titulaire pouvant se combiner avec une modification du contrat si cette dernière n’a pas permis de résorber la totalité du préjudice d’imprévision subi par le titulaire.
Mais le Conseil d’État rappelle la limite selon laquelle l’indemnisation de l’imprévision a pour objet de permettre d’assurer la continuité du service public, « ce qui implique que seul le cocontractant qui continue à remplir ses obligations contractuelles et subit, de ce fait, un déficit d’exploitation, a droit à une indemnité ».
Enfin, répondant à l’ultime question qui lui était posées, il est considéré que l’indemnité d’imprévision n’a pas vocation à figurer dans le décompte général et définitif du marché, dans la mesure où elle permet seulement de compenser les charges extracontractuelles subies par le titulaire et ne constitue pas une conséquence financière de l’exécution.