22mars 2022

Le 22 mars 2022, la loi[1] visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte et la loi organique[2] visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en la matière ont été publiées.

Initiées par député Sylvain Waserman, les deux lois adoptées ont notamment pour objet la transposition d’une directive européenne sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union[3].

Palliant les carences de la loi du 9 décembre 2016 (dite « loi SAPIN II[4]), jugée insuffisante en matière de protection des lanceurs d’alerte, les deux lois adoptées visent à renforcer leur protection, notamment en modifiant et en élargissant la notion de lanceur d’alerte, en précisant les procédures de signalement ainsi qu’en prévoyant des mesures de protection supplémentaires. En complément, la loi organique étend le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte.

Quels sont les principaux apports de ces lois ?

 

1- Une amélioration de la protection des lanceurs d’alerte

La loi ordinaire visant à améliorer les mesures de protection des lanceurs d’alerte modifie notamment la loi SAPIN II définissant le statut des lanceurs d’alerte.

    1-1- Redéfinition et extension de la qualification de lanceurs d’alerte

Le texte revoit tout d’abord la définition du lanceur d’alerte, qui est désormais défini comme : « une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international (…), du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement. »

La loi procède ainsi à une modification de la définition du lanceur d’alerte afin de faciliter les conditions d’octroi du statut de lanceur d’alerte. A titre d’exemple, le terme « de manière désintéressée » de la loi SAPIN II est remplacé par « en l’absence de contrepartie financière », recentrant ainsi la notion d’intérêt sur les seuls intérêts financiers.

Outre la redéfinition du lanceur d’alerte, le texte prévoit l’extension de la protection offerte aux lanceurs d’alerte aux personnes qui les accompagnent, et notamment aux « facilitateurs » selon les termes même de la loi, c’est-à-dire à toute personne physique ou morale de droit privé à but non lucratif qui aide un lanceur d’alerte à effectuer un signalement ou une divulgation. Cela vise notamment les associations, les syndicats et les ONG, qui pourront désormais bénéficier de la protection du statut du lanceur d’alerte.

   1-2- Précision et simplification de la procédure de signalement 

 La procédure de signalement fait l’objet de nombreuses précisions par la loi et se trouve simplifiée.

 Le texte précise le fonctionnement des canaux internes et externes de signalement. Alors que la loi SAPIN II privilégiait dans le cadre d’une approche subsidiaire, le signalement interne auprès de l’employeur, désormais, le lanceur d’alerte aura le choix entre le signalement interne et le signalement externe à l’autorité compétente, au Défenseur des droits, à l’autorité judiciaire ou à un organe européen compétent.

La loi rappelle également les modalités de recours à la divulgation publique, qui est in fine possible dans trois cas :

  •  En l’absence de réponse à un signalement externe
  • En cas de danger grave ou imminent
  • En cas de risque de représailles ou si le signalement n’a aucune chance d’aboutir

Une exception est néanmoins prévue en cas d’atteinte aux intérêts de la défense et de la sécurité nationale.

Le lanceur d’alerte anonyme voit également sa protection renforcée, par le texte qui dispose que lorsqu’un signalement ou une divulgation publique a été réalisée de manière anonyme, le lanceur d’alerte dont l’identité est révélée par la suite bénéficie des mêmes protections.

Cette hypothèse vise notamment les journalistes.

   1-3- Renforcement de la protection des lanceurs d’alerte

Afin d’assurer le renforcement de la protection des lanceurs d’alerte, et plus particulièrement le risque de représailles qui pèse sur ces derniers, plusieurs mesures de protection sont introduites par la loi.

A ce titre, le texte établit une liste de formes de représailles dont le lanceur d’alerte ne saurait faire l’objet.

Sont notamment proscrites toutes les mesures de suspension, de licenciement, de non-conversion d’un contrat de travail à durée déterminée ou d’un contrat temporaire en un contrat permanent, d’une atteinte à la réputation par les réseaux sociaux ou encore d’une orientation abusive vers un traitement psychiatrique ou médical.

Dans le cas où le lanceur d’alerte souhaite introduire un recours contre une telle mesure de représailles, la loi prévoit désormais que le juge puisse lui allouer une provision pour frais de justice. Il pourra également allouer une provision supplémentaire au lanceur d’alerte dont la situation financière s’est gravement dégradée en raison du signalement, sauf à ce qu’il soit démontré que l’action ou la mesure contestée dans le cadre du référé-provision est justifiée par des « éléments objectifs étrangers au signalement ou à la divulgation. »

La loi crée par ailleurs un régime d’irresponsabilité civile et pénale pour les personnes ayant signalé ou divulgué publiquement des informations. Cette irresponsabilité pénale vaut également pour les facilitateurs.

Sont également renforcées les sanctions encourues lors d’une procédure dirigée contre un lanceur d’alerte en raison des informations signalées ou divulguées. En effet, en cas de procédure « bâillon » menée contre un lanceur d’alerte, le montant de l’amende civile encourue est porté à 60 000 euros.

Il convient toutefois de relever que la consécration du droit d’alerte en qualité de liberté fondamentale et de présomption d’urgence adoptées par l’Assemblée nationale en première lecture, ne sont plus au périmètre de la loi définitivement adoptée. En effet, la commission mixte paritaire n’a pas entendu conserver la création d’un référé liberté « droit d’alerte » au bénéfice de l’agent public auteur d’un signalement.

    

2- Le renforcement du rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte

A également été adoptée la loi organique visant en particulier à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte et modifiant la loi organique du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits.

    2-1- Élargissement de la mission de traitement des alertes 

Si la loi organique du 9 décembre 2016 prévoyait que le Défenseur des droits pouvait orienter les lanceurs d’alerte vers les autorités compétentes, la loi organique adoptée renforce son rôle.

Le texte prévoit ainsi que le Défenseur des droits puisse être saisi d’un signalement par tout lanceur d’alerte et sera tenu, s’il s’estime compétent, de recueillir ce signalement, de le traiter et de fournir un retour d’information à son auteur.

Afin d’assurer cette mission et sur proposition des Sénateurs, le texte a prévu la nomination d’un nouvel adjoint au Défenseur des droits « chargé de l’accompagnement des lanceurs d’alerte ».

   2-2- Attribution d’une compétence relative à la qualité de lanceur d’alerte 

La loi organique donne également compétence au Défenseur des droits pour se prononcer sur la qualité de lanceur d’alerte d’une personne. Il devra à cette fin rendre un avis dans un délai de six mois. Cet avis ne sera pas opposable au juge mais pourrait faire partie des éléments fondant sa décision.

C’est en ce sens que le Conseil Constitutionnel a pu juger que « les dispositions de l’article 3 de la loi organique n’ont ni pour objet ni pour effet de limiter le pouvoir reconnu aux juridictions pour apprécier la qualité de lanceur d’alerte, non plus que de priver une personne du droit de former un recours contre l’avis du Défenseur des droits dans le cas où cet avis aurait des effets notables ou une influence significative sur sa situation ».

En outre, il est prévu que le Défenseur des droits élabore tous les deux ans un rapport sur le fonctionnement global de la protection des lanceurs d’alerte en France.

Les lois du 21 mars 2022 relatives à la protection des lanceurs d’alerte modifient donc significativement le dispositif de qualification et de protection de ces derniers. Elles adaptent et précisent dans le même temps le dispositif de signalement et de traitement de l’alerte.

Il importe que les collectivités et les établissements publics puissent prendre en compte ces évolutions afin de les articuler avec les dispositifs de signalements existants[5] et in fine de pouvoir traiter de manière régulière tous les signalements dont ils sont dépositaires notamment lorsque la personne signalant se prévaut de la condition de lanceurs d’alertes avec toutes les conséquences de droit qui s’y rattachent.

 

Pour aller plus loin :

https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045388740

https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045388745

 

[1] Loi n°2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte

[2] Loi n°2022-400 du 21 mars 2022 visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte

[3] Directive UE n°2019/1937 du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’union

[4] Loi n°2016-1691 du 09 décembre 2016, articles 6 à 16.

[5] Et en particulier au dispositif de signalement des actes de violences, de discrimination, de harcèlement et d’agissements sexistes dans la fonction publique, en application des dispositions de l’article 6 quater A de la loi du 13 juillet 1983 et du décret n°2020-256 du 13 mars 2020 pris en application.

Cabinet Coudray Publié le 22/03/2022 dans # Veille juridique