17décembre 2020

La Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a publié, le 30 novembre dernier, un communiqué signalant le recours de quatre ressortissants français relatifs à l’application immédiate de la jurisprudence dite « Czabaj » aux instances en cours.

Pour rappel, si en droit français le principe est que toute décision administrative est contestable dans un délai de deux mois (article R. 421-1 du code de justice administrative), cela ne vaut qu’à condition que les voies et délais de recours aient été notifiés (article R. 421-5 du code de justice administrative).

A défaut d’une telle précision, s’ouvrait, auparavant, une sorte de recours perpétuel à l’encontre de la décision (CE, 1er octobre 2014, Mme B., n° 363482 ; CE, 5 décembre 2014, SCI Les Rosiers et autres, n° 359769).

Le Conseil d’Etat, au nom du principe de sécurité juridique des décisions administratives a, en 2016, procédé à un revirement de jurisprudence conséquent, d’application immédiate aux instances en cours, aux termes duquel :

« le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ; qu’en une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable ; qu’en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance ;

Considérant que la règle énoncée ci-dessus, qui a pour seul objet de borner dans le temps les conséquences de la sanction attachée au défaut de mention des voies et délais de recours, ne porte pas atteinte à la substance du droit au recours, mais tend seulement à éviter que son exercice, au-delà d’un délai raisonnable, ne mette en péril la stabilité des situations juridiques et la bonne administration de la justice, en exposant les défendeurs potentiels à des recours excessivement tardifs ; qu’il appartient dès lors au juge administratif d’en faire application au litige dont il est saisi, quelle que soit la date des faits qui lui ont donné naissance » (CE, 13 juillet 2016, CZABAJ, n° 387763).

Ainsi est né le fameux « délai raisonnable d’un an » qui tend aujourd’hui à irriguer de nombreuses matières du contentieux administratif (pour des exemples récents, voir : CE, 12 octobre 2020, Société Château Chéri, n° 429185 ; CE, 25 septembre 2020, SCI La Chaumière et autres, n° 430945).

Devant la CEDH, l’applicabilité immédiate de cette jurisprudence pose la question du respect de l’article 6§1 du la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et du citoyen, aux termes duquel :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…) »

La Cour a, en effet, pu consacrer au fil de sa jurisprudence sur cet article que les conditions de recevabilité d’une requête peuvent porter atteinte au droit d’accès à un tribunal (par exemple : CEDH, 8 mars 2012, Célice c. France, requête n° 14166/09 ; CEDH, 3 novembre 2009, Davran c. Turquie, n° 18342/03).

C’est ce qui se pose devant elle avec la jurisprudence Czabaj  laquelle soulève les questions suivantes : cette applicabilité immédiate porte-t-elle atteinte au droit d’accès à un tribunal ? Ce droit d’accès à un tribunal dépend-il du stade de la procédure auquel est opposé la nouvelle règle jurisprudentielle ?

La CEDH, sur le fondement de cet article, a déjà eu l’occasion de dégager une jurisprudence concernant la sécurité juridique.

Aussi, dans un arrêt Borg c. Malte, elle a considéré que ce principe tend à garantir une confiance des justiciables dans la justice. Mais elle a également posé que

« les exigences de la sécurité juridique et de la protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas un droit acquis à une jurisprudence constante, et une évolution de jurisprudence n’est pas en soi contraire à une bonne administration de la justice dans la mesure où l’absence d’une approche dynamique et évolutive serait susceptible d’entraver tout changement ou amélioration » (CEDH, 12 janvier 2016, Borg c. Malte, requête n° 37537/13).

En d’autres mots, selon la Cour :

« les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante » (CEDH, 18 décembre 2008, Unedic c. France, requête n° 20153/04).

Néanmoins la Cour vérifie, dans cette décision, l’existence d’une atteinte à des droits acquis et l’accès à une juridiction.

Partant, l’appréciation de la Cour sur l’applicabilité immédiate de la jurisprudence CZABAJ, qui s’applique à de plus en plus de matières en droit administratif, est attendue avec impatience.

Cabinet Coudray Publié le 17/12/2020 dans # Veille juridique