La saisine du juge administratif par un agent peut lui révéler, ainsi qu’à la collectivité qui l’emploie, qu’il n’est pas l’agent public qu’il croyait être.
C’est cette surprise qu’a eu un agent contractuel affecté au sein de l’antenne du département de la Réunion à Paris, constituée sous la forme d’une régie dépourvue de personnalité morale, et dont le contrat de travail renvoyait aux dispositions applicables aux agents de la fonction publique territoriale.
Ces mentions et la diversité des missions du service au sein duquel était affecté l’agent pouvait donner à penser, tant à l’agent qu’à la collectivité qui l’employait, qu’un éventuel contentieux ressortirait de la compétence du juge administratif.
Il n’en était rien, et, pour le rappeler dans son arrêt n° 22PA00179 du 8 décembre 2023, la cour administrative d’appel de Paris s’est appuyé sur une jurisprudence traditionnelle.
L’attribution de la personnalité morale à un service public industriel et commercial attire généralement l’attention de la collectivité sur l’application d’un régime de droit privé aux agents qui y sont affectés, à l’exception du directeur et son comptable, qui se voient appliquer le droit public et relèvent donc de la juridiction administrative :
« CONSIDÉRANT qu’il résulte des termes mêmes du décret du 9 août 1947, qui a modifié le décret du 30 septembre 1944 pris par application de l’article 5 de l’ordonnance du 30 septembre 1944 portant création à titre provisoire de l’Agence France-Presse, que cette agence présente les caractères d’un établissement public industriel et commercial ; que, par suite, il n’appartient qu’aux tribunaux judiciaires de se prononcer sur les litiges individuels concernant les agents dudit établissement à l’exception de celui desdits agents qui est chargé de la direction de l’ensemble des services de l’établissement, ainsi que du chef de la comptabilité, lorsque ce dernier possède la qualité de comptable public ; »
(CE, Sect., 8 mars 1957, Jalenques de Labeau, n° 15219)
Mais le fait qu’un service industriel et commercial n’ait pas été doté de la personnalité morale n’a pas d’incidence sur le régime juridique applicable à ses agents :
« 1° Il n’y a pas lieu de distinguer, pour l’application des principes qui définissent le régime des services publics industriels et commerciaux, selon que le service est exploité en régie par l’État ou par une collectivité territoriale, ou qu’il est confié à un établissement public. / 2° Il suit de là qu’à défaut de disposition législative contraire, et réserve étant faite du directeur et du comptable, les régies industrielles et commerciales des collectivités territoriales ne devraient, en principe, employer que des personnels de droit privé ».
(CE, Avis, 3 juin 1986, n° 340127)
L’affectation irrégulière d’agents publics à un SPIC produit des effets contrastés suivant que l’agent est fonctionnaire ou contractuel.
L’avis précité l’affirme sans détour : les fonctionnaires, même affectés à un service public industriel et commercial, le demeurent :
« On rappellera toutefois que les fonctionnaires des collectivités territoriales conservent le bénéfice de leur statut même si, à tort u à raison, ils sont affectés à une régie industrielle ou commerciale »
(CE, Avis, 3 juin 1986, n° 340127)
En revanche, les agents contractuels, recrutés par contrat apparemment de droit public, même s’appuyant sur des dispositions du code général de la fonction publique et du code général des collectivités territoriales, relèvent du droit privé et le contentieux de leur relation de travail relève de la compétence des juridictions judiciaires.
Cette ligne de crête entre régimes applicables se retrouve dans les articles L. 2 du code général de la fonction publique et L. 1211-1 du code du travail : à l’exclusion du champ d’application du premier répond l’inclusion du second.
L’article L. 2 du code général de la fonction publique dispose ainsi que :
« Pour autant qu’il en dispose ainsi, le présent code s’applique également aux agents contractuels des administrations de l’Etat, des autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes, des établissements publics de l’Etat, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics ainsi que des établissements ou services mentionnés à l’article L. 5.
Dans les services et les établissements publics à caractère industriel ou commercial, il ne s’applique qu’aux agents qui ont la qualité de fonctionnaire. »
L’article L. 1211-1 du code du travail dispose quant à lui que :
« Les dispositions du présent livre sont applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu’à leurs salariés.
Elles sont également applicables au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé, sous réserve des dispositions particulières ayant le même objet résultant du statut qui régit ce personnel. »
Cette solution très traditionnelle est rappelée par la cour administrative d’appel de Paris dans l’arrêt du 8 décembre 2023, n° 22PA00179.
Saisi par un agent du département de la Réunion affecté au sein de la boutique de l’antenne du département à Paris, le tribunal administratif de Paris avait rejeté sa requête indemnitaire au motif de l’incompétence de la juridiction administrative.
Pour statuer sur sa compétence, la Cour devait donc déterminer la qualité de ce service public – administratif ou industriel et commercial.
Faute de qualification textuelle, c’est, là encore, une jurisprudence très classique qui s’est vue appliquée par la Cour.
Depuis son arrêt CE, Ass. 16 novembre 1956, Union syndicale des industries aéronautiques, n° 26549, le juge administratif cherche dans des signes convergents l’identité administrative ou commerciale d’un service, tenant à son objet, son financement et à ses modalités de fonctionnement.
La Cour a donc vérifié, successivement, ces trois éléments, lesquels ne convergeaient pas parfaitement.
Relativement à son objet, l’antenne du département de la Réunion assumait des fonctions hydrides, certaines nettement administratives, d’autres se situant plus clairement dans le champ d’une activité commerciale :
« 2. Il résulte de l’instruction que le département de la Réunion dispose à Paris d’une antenne chargée, d’une part, de missions d’ordre administratif, portant notamment sur la mise en œuvre de dispositifs d’aides du département aux malades transférés pour soins en métropole et d’aide à l’insertion professionnelle à destination des réunionnais, d’autre part, de missions en lien avec l’activité de représentation du département en métropole et, enfin, de missions de nature commerciale s’exerçant dans le cadre d’une boutique ouverte en novembre 2015 en vue d’assurer la promotion et la commercialisation en métropole de produits réunionnais. »
Il ressortait toutefois de sa fiche de poste que la requérante, « responsable boutique », n’était affectée qu’aux missions commerciales de l’antenne.
Le financement de l’antenne, quant à lui, orientait nettement plus vers la qualification commerciale. Reprenant le constat d’une juridiction financière, le caractère commercial résultait de l’intention même de la collectivité de retracer ses comptes dans un budget annexe :
« Il résulte encore de l’instruction, et notamment du rapport d’observations définitives délibéré le 26 mars 2019 par la chambre régionale des comptes de la Réunion, à l’issue d’un contrôle des comptes et de la gestion de l’antenne du département ouvert le 22 août 2018, que les comptes de cette boutique sont retracés, depuis une décision du département du mois de décembre 2014, dans le cadre d’un budget annexe visant à assurer l’exploitation de cette boutique dans le cadre d’un service public industriel et commercial. Ladite boutique doit dès lors être regardée comme une régie dotée de la seule personnalité financière en vue de mener une activité commerciale et non, comme le soutient le département, comme un service public de promotion du tourisme. Du rapport précité, il ressort encore que si les comptes de l’exploitation ainsi menée dans le cadre de la boutique ne sont pas équilibrés, les déficits de la boutique étant en pratique couverts par le budget général du département grâce à un compte assurant la liaison entre les deux budgets, les ressources de la boutique sont constituées par les recettes dégagées par la vente des produits qui y sont commercialisés, à l’exclusion de toute recette fiscale ou parafiscale.
S’agissant enfin de son fonctionnement, il était assuré principalement par des contractuels, le lien direct entre cette antenne et le cabinet de l’exécutif étant indifférent :
« Il résulte encore de l’instruction que si l’antenne parisienne du département est rattachée au cabinet du président du département et compte en son sein plusieurs fonctionnaires, l’exploitation de la boutique est assurée essentiellement par des personnels recrutés par contrat et non par des personnels statutaires. »
Il ressortait donc des caractéristiques de l’objet, des ressources et du fonctionnement de la boutique que la requérante était affectée à un service public industriel et commercial, justifiant la compétence du juge judiciaire :
Si le contrat renvoyait aux dispositions applicables aux agents publics, ce n’était là qu’une erreur, la qualification objective de la situation primant sur la volonté des parties.
Cet arrêt applique ainsi des solutions très classiques mais souvent méconnues par les collectivités.