Le gré à gré au gré des Conseillers du Palais Royal
Jurisprudence :
CE, 4, avril 2016, société Caraïbes Développement, n° 396191
CE, 5 février 2018, ville de Paris, Société des Mobiliers Urbains pour la Publicité et l’information, n° 416579, 416585, 416640, 416711, 416581, 416641 (pourvois en cassation des ordonnances du TA de Paris : 5 décembre 2017, n° 1717601, 1717558)
« Previously on Code général des collectivités territoriales » (voix off de circonstance) : l’article L. 1411-2 du Code général des collectivités territoriales permettait aux personnes publiques – pour une durée qui ne pouvait excéder un an – de prolonger un contrat de délégation de service public pour des motifs d’intérêt général (1) .
L’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession a abrogé cette possibilité.
Dans ce contexte, les récentes décisions du Conseil d’État en matière de concession provisoire de service présentent une importance certaine. Et elles ne se sont pas faites attendre bien longtemps.
En effet, par une décision du 4 avril 2016 (ce qui nous permet de penser que le 4 avril n’est décidemment pas une date comme les autres au Conseil d’État, #tarnetgaronne), les magistrats du Palais Royal ont admis qu’il était possible de signer un contrat de délégation de service public provisoire – conclu de gré à gré – dans l’hypothèse d’une situation d’urgence et lorsqu’un motif d’intérêt général, tenant à la continuité du service public, l’exige. Musique maestro :
« (…) Que toutefois, en cas d’urgence résultant de l’impossibilité soudaine dans laquelle se trouve la personne publique, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service par son cocontractant ou de l’assurer elle-même, elle peut, lorsque l’exige un motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public, conclure, à titre provisoire, un nouveau contrat de délégation de service public sans respecter au préalable les règles de publicité prescrites ; que la durée de ce contrat ne saurait excéder celle requise pour mettre en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence, si la collectivité entend poursuivre la délégation du service, ou, au cas contraire, pour organiser les conditions de sa reprise en régie ou pour en redéfinir la consistance ; » (CE, 4, avril 2016, société Caraïbes Développement, n° 396191)
Ce considérant de principe a été repris encore récemment dans une décision afférente à un contrat de mobilier urbain d’information municipale (CE, 5 février 2018, ville de Paris, Société des Mobiliers Urbains pour la Publicité et l’information, n° 416579, 416585, 416640, 416711, 416581, 416641).
Quelles sont donc ces conditions dégagées par le Conseil d’État pour pouvoir conclure une concession provisoire de gré à gré ?
L’urgence tout d’abord, caractérisée ici par des composantes qui ne sont pas sans rappeler celles de la force majeure (à tout le moins pour deux d’entre elles) puisque la personne publique doit démontrer que, pour une raison indépendante de sa volonté (extériorité), elle est dans l’impossibilité (irrésistibilité) « soudaine » (l’adjectif disparaîtra dans la décision du 5 février 2018), de continuer à faire assurer le service par son cocontractant ou de l’assurer elle-même.
La passation d’un tel contrat doit également être justifiée par un motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public.
L’appréciation de ce motif d’intérêt général est stricte puisqu’il doit être exclusivement celui qui s’attache à la continuité du service.
Ainsi, dans l’espèce commentée de 2018, le Conseil d’État a considéré que ne constituait pas un tel motif d’intérêt général l’impossibilité provisoire d’informer la population de l’actualité municipale sur le mobilier urbain de la ville. Il existe en effet pléthore d’autres moyens d’assurer cette communication. En somme, « tu pousses le bouchon un peu trop loin Morris ».
Mais ce n’est pas là la seule condition qui s’est avérée non remplie dans cette récente affaire.
En effet, les magistrats ont érigé un dernier garde-fou tenant à la durée de ce contrat provisoire. Elle ne doit pas excéder soit le temps nécessaire à la mise en œuvre d’une procédure de publicité et de mise en concurrence, soit la durée qui permettrait une reprise en régie du service.
Dans l’espèce de février 2018, la collectivité avait tenté de justifier son délai de 20 mois (décomposé comme suit : 13 mois de procédure de passation et 8 mois pour la fabrication et la mise en place du mobilier) en arguant notamment de la concomitance de la procédure de révision du règlement local de publicité, ainsi que du calendrier contraint des séances de sa « commission concession ».
Aucun de ces arguments n’a prospéré. 20 mois, c’est donc trop, et cela se comprend aisément lorsque l’on sait que l’ancien article L. 1411-2 du CGCT limitait la prolongation exceptionnelle des délégations de service public à une année.
Cette procédure de gré à gré, dérogatoire aux règles de la commande publique, demeure une exception bien circonscrite.
Dont acte, bon gré mal gré.
(1) La conclusion de gré à gré d’une convention de délégation de service public était également possible aux termes de l’ancien article L. 1411-12 du CGCT, soit lorsque le montant des sommes dues au délégataire pour toute la durée de la convention n’excédait pas 106 000 euros ou que la convention couvrait une durée non supérieure à trois ans et portait sur un montant n’excédant pas 68 000 euros par an.