24mars 2020

La crise sanitaire actuelle peut imposer le report de délais d’exécution de travaux lorsque leur exécution est matériellement impossible, c’est-à-dire lorsque les individus intervenants sur le chantier, sous la responsabilité des titulaires des marchés, ne peuvent être considérés comme en « sécurité ».

Dans ce cadre, deux hypothèses sont envisageables :

  • Le maître d’ouvrage considère que le chantier peut se poursuivre

Il est loisible au maître d’ouvrage de considérer que le chantier peut se poursuivre dans la mesure où les entreprises titulaires des marchés sont toujours en capacité d’exécuter leurs prestations.

Cela ressort des prises de positions gouvernementales allant dans le sens d’une responsabilisation des entreprises, ces dernières devant décider si les conditions de sécurité de leurs salariés sont respectées.

Dans ces conditions :

  • Soit le titulaire du marché considère qu’il ne peut exécuter ses prestations pour cas de force majeure :

Le titulaire du marché peut très bien considérer qu’il n’est pas en mesure d’assurer la sécurité de ses salariés et informer alors le maître d’œuvre et/ou le maître d’ouvrage qu’il suspend l’exécution de ses prestations pour cas de force majeure.

Sur ce point, il convient à la maîtrise d’ouvrage et/ou la maîtrise d’œuvre d’inviter le titulaire à justifier de son impossibilité d’exécuter ses prestations et à organiser la sécurité de ses salariés.

S’ensuivent plusieurs conséquences :

  • Une possible indemnisation du titulaire en application de l’article 18.3 du CCAG-Travaux, étant entendu que si la jurisprudence considère que des pertes directes de matériels, dues par exemple à un cas de force majeure naturel, peuvent être indemnisées, il n’en est pas de même de l’immobilisation du matériel et du personnel provoquée par la désorganisation du chantier (CE, 11 décembre 1991, req. n° 81588) ni du manque à gagner ;
  • L’impossibilité pour le maître d’ouvrage de reprocher à son cocontractant une inexécution contractuelle, si le cas de force majeure est avéré, et donc l’impossibilité d’appliquer des pénalités de retards correspondants à l’allongement de la durée d’’exécution du marché lors de la période où le titulaire a subi cet évènement (CAA Douai, 16 février 2010, req. n° 05DA01124).
  • Soit le titulaire d’un marché demande la prolongation des délais d’exécution :

Dans ce cadre, le titulaire du marché demande à suspendre le chantier et à prolonger les délais d’exécution en invoquant un cas de force majeure tenant à l’impossibilité d’assurer l’exécution de ses prestations (article 19.2 du CCAG-Travaux).

Ainsi, en synthèse :

  • Le titulaire avise le maître d’ouvrage et/ou le maître d’œuvre d’une impossibilité d’exécution des travaux en raison de difficultés imprévues ;
  • Le maître d’ouvrage décide de la durée de cette prolongation après proposition du maître d’œuvre et avis du titulaire ;
  • La garde du chantier est toujours laissée au titulaire du marché.

Cette procédure ne prévoit pas d’indemnités au profit du titulaire même si celui-ci pourra produire un mémoire en réclamation indemnitaire sur lequel le maître d’ouvrage devra se positionner au regard des éléments présentés.

Il n’en reste pas moins que son préjudice sera difficile à établir, dès lors que le titulaire sera à l’initiative de cette prolongation et si, notamment, il a fermé son entreprise durant la période considérée.

  • Le maître d’ouvrage peut décider d’ajourner les travaux

Le maître d’ouvrage peut décider d’ajourner les travaux au sens des dispositions de l’article 49.1 du CCAG-Travaux, étant entendu que la jurisprudence administrative semble considérer qu’une « suspension » des travaux décidée par le représentant du pouvoir adjudicateur vaut décision d’ajournement (CAA Lyon, 31 janvier 2019, req. n° 16LY03829).

D’emblée, il sera fait remarquer que cet ajournement des travaux ne suspend pas l’application des clauses du marché liant le pouvoir adjudicateur au titulaire et implique toujours, en conséquence, d’assurer un suivi administratif du chantier (déclaration de sous-traitance, paiement des avances…).

Ensuite, cette procédure n’est pas obligatoire dans la mesure où il appartient au titulaire, s’il estime que la sécurité de ses salariés est en cause, de prendre les mesures nécessaires, en avertissant le maître d’œuvre, le cas échéant le coordinateur SPS, et le maître de l’ouvrage.

Cette procédure implique plusieurs conséquences :

  • un constat contradictoire des ouvrages exécutés ;
  • – une indemnité due au titulaire qui peut :
    • soit être déjà précisé provisoirement dans l’ordre de service par des prix d’attente émanant de la maîtrise d’œuvre ;
    • soit, à défaut, faire l’objet d’un mémoire en réclamation ultérieure ou d’une intégration dans le projet de décompte final du titulaire.

Les conditions d’indemnisations, dans cette hypothèse, semblent bien restrictives puisque, à la lecture de l’article 49.1.1 du CCAG-Travaux, l’ajournement de chantier permettra à un titulaire de marché public de prétendre à l’indemnisation de son préjudice si et seulement s’il est celui qui assure la garde et de la surveillance du chantier.

Sur ce point :

  • il apparait que le préjudice relatif aux frais de garde du chantier ne peut être sérieusement contesté sur présentation de justificatif (frais de personnel, vidéo surveillance, barrières) ;
  • les autres préjudices subis du fait de l’ajournement peuvent être plus délicats à mettre en lumière mais pourraient notamment recouvrir :
    • des travaux supplémentaires si l’exécution de prestations après cet ajournement excède celles prévues à votre marché ;
    • des frais d’immobilisation de personnel ou du matériel ..

Cependant, la fermeture de l’entreprise durant cette période semble exclure toute indemnisation liée aux frais d’immobilisation de matériels et de personnel (CAA Nantes, 28 juillet 2015, req. n° 13NT01133).

Enfin, rien n’empêche aux autres titulaires du chantier de produire un mémoire en réclamation relatif à leurs propres préjudices même s’ils n’ont pas la garde du chantier dans la mesure où il visera à réparer les conséquences de l’ajournement édicté par le maître d’ouvrage.

Il appartiendra dans ce cas à l’entreprise d’apporter la preuve qu’elle pouvait toujours intervenir sur le chantier malgré la situation de crise sanitaire et en respectant les mesures gouvernementales.

En conclusion, il conviendra de prendre la mesure des enjeux de chaque chantier afin de savoir si :

  • Le maître d’ouvrage considère que le chantier peut continuer à s’exécuter et attendre une éventuelle demande de prolongation des délais par le titulaire ;
  • Le maître d’ouvrage doit prendre les devants afin d’ajourner les travaux, quitte à verser une indemnité au titulaire concerné.
Cabinet Coudray Publié le 24/03/2020 dans # Veille juridique