7février 2023

Par une décision du 16 décembre 2022, n° 455186, le Conseil d’État apporte des précisions utiles quant à l’étendue et les modalités de détermination de l’indemnité du cocontractant de l’administration dans le cas d’une résiliation amiable : les parties à un contrat administratif peuvent déterminer les modalités d’indemnisation du cocontractant en cas de résiliation amiable dès lors que le montant versé n’excède pas le montant du préjudice subi par le cocontractant et des dépenses non-couvertes.

Dans cette espèce, une commune a conclu un bail emphytéotique d’une durée de soixante ans avec une SCI avec obligation pour la société d’y construire et d’exploiter un village de vacances. Pendant la durée du bail, cette société a fait part à la commune de sa volonté de mettre un terme anticipé au contrat, ce qu’a accepté la collectivité, le conseil municipal ayant alors délibéré et accordé une somme de 1 700 000 euros à feu son cocontractant.

Saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre cette délibération le tribunal administratif de Nice l’a annulé au motif que les stipulations contractuelles devaient être considérées comme faisant obstacle à l’indemnisation du cocontractant. Ce jugement a été confirmé par la cour administrative d’appel de Marseille. La société a alors formé un pourvoi à l’encontre de cet arrêt.

Saisissant l’occasion de ce litige, dans la décision commentée, le Conseil d’État est venu apporter des précisions sur le degré de contrôle du juge relatif à l’interdiction pour une personne publique de consentir des libéralités :

Si jusqu’alors le juge administratif veillait à ce qu’il n’existe pas de disproportion manifeste, au détriment de la personne publique, entre l’indemnité consentie et le montant du préjudice subi par le cocontractant, désormais, les parties à un contrat administratif peuvent déterminer l’étendue et les modalités des droits à indemnité en cas de résiliation amiable du contrat, mais sous la réserve que l’indemnité allouée n’excède :

  • Le montant du préjudice subi par le cocontractant du fait de la résiliation ; et
  • Des dépenses exposées et non couvertes du fait de la résiliation.

« 2. Les parties à un contrat conclu par une personne publique peuvent déterminer l’étendue et les modalités des droits à indemnité du cocontractant en cas de résiliation amiable du contrat, sous réserve qu’il n’en résulte pas, au détriment de la personne publique, l’allocation au cocontractant d’une indemnisation excédant le montant du préjudice qu’il a subi résultant du gain dont il a été privé ainsi que des dépenses qu’il a normalement exposées et qui n’ont pas été couvertes en raison de la résiliation du contrat. »

Le contrôle restreint de l’absence de disproportion manifeste laisse ainsi la place au contrôle entier du caractère excessif ou non de l’indemnisation du préjudice subi par le cocontractant de l’administration.

Le Conseil d’État aligne ainsi sa jurisprudence sur celle du Conseil constitutionnel qui est plus exigeant eu égard tant au respect du principe d’égalité devant les charges publiques que de l’exigence de bon emploi des deniers publics (Décision n° 2010-624 DC du 20 janvier 2011).

Il s’agit ainsi selon le rapporteur public PEZ-LAVERGNE « d’envoyer un signal aux collectivités publiques parfois généreuses dans l’allocation amiable d’indemnités à leurs cocontractants. »

Dans cette affaire, contrôlant le caractère excessif de l’indemnité allouée par la commune, le Conseil d’État a estimé que la cour administrative d’appel de Marseille avait commis une erreur de droit en ne retenant que la perte de bénéfice escompté de l’exploitation du site pour la durée du contrat restant à courir, alors qu’elle devait « retenir le plus élevé des deux montants correspondant soit au bénéfice escompté de l’exploitation du site pour la durée du contrat restant à courir soit à la valeur des droits issus du bail. »

Si le litige soumis au Conseil d’État portait sur la résiliation d’un bail emphytéotique, la portée de l’évolution jurisprudentielle opérée par le Conseil d’État doit être regardée, eu égard notamment à son fichage et aux conclusions du rapporteur public, comme s’étendant à tous les contrats conclus par une personne publique, notamment aux contrats de la commande publique, ainsi qu’à toutes les situations dans lesquelles l’administration alloue une indemnité, que ces conditions aient été fixées préalablement dans le contrat ou non.

Cabinet Coudray
Guillaume EMÉLIEN
Publié le 07/02/2023 dans # Veille juridique