Dans le cadre des contentieux (initiés en particulier par des acteurs de la grande distribution) reprochant une surévaluation de la taxe par rapport au coût réel du service de collecte et de traitement des ordures ménagères, le Conseil d’État a consacré en matière de TEOM une jurisprudence sévère pour les collectivités territoriales concernées.
La TEOM vise à pourvoir aux dépenses du service de collecte et de traitement des déchets ménagers, ainsi que, depuis la loi de finance pour 2016, des déchets dits « assimilés », dans la mesure où ces dépenses ne sont pas couvertes par des recettes ordinaires n’ayant pas le caractère fiscal (art. 1520 du code général des impôts).
C’est cette finalité qui a conduit le Conseil d’Etat à considérer que le produit de la TEOM ne devait pas être manifestement disproportionné par rapport au montant des dépenses exposées pour assurer l’enlèvement et le traitement des ordures ménagères, telles qu’elles peuvent être estimées à la date de la délibération fixant le taux de la taxe (CE, 31 mai 2014, n° 368111, Min. deleg. au budget c/ Sté. Auchan France).
Il a ainsi été jugé que le montant de la TEOM était manifestement disproportionné s’il excédait de 15 % le montant des dépenses exposées. Pourtant, cette proportion ne semble plus constituer une référence sûre, dans la mesure où le juge administratif est venu censurer un excédent de 2,5 %. Il faut donc garder à l’esprit que le caractère manifeste de la disproportion est sujet à des appréciations variables.
Les dépenses devant être prises en compte pour apprécier la proportionnalité du montant de la taxe s’entendent de la somme des dépenses de fonctionnement réelles exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des dotations aux amortissements des immobilisations qui lui sont affectées (CE, 25 juin 2018, n° 414056, SA Auchan France).
En revanche, la prise en compte des dépenses d’administration générale (frais de personnel, moyens techniques et administratifs) est plus incertaine. D’un côté, le Conseil d’État refuse les dépenses « exposées pour la seule administration générale de la commune » (CE, 19 mars 2018, n° 402946, SAS Cora). De l’autre, il paraît admettre celles fondées sur une méthode de calcul identifiant « les ressources humaines et matérielles liées au suivi du service » (CE, 16 janvier 2018, n° 412674, Société Auchan France). Plus que leur principe même, ce sont donc les modalités de prise en compte des dépenses d’administration générale qui semblent avoir été censurées.
La TEOM ne visant à couvrir les dépenses du service que dans la mesure où elles ne sont pas couvertes par des recettes ordinaires n’ayant pas le caractère fiscal, il convient d’en déduire les recettes de la section de fonctionnement tirées de la valorisation des déchets, les contributions des organismes tels que Eco-Emballages ou l’Adelphe, ainsi que, le cas échéant, la redevance spéciale. En revanche, ne constituent pas de telles recettes : les reports d’excédents de fonctionnement ainsi que des recettes exceptionnelles (par exemple la prime d’assurance reçue à la suite de l’incendie d’un centre de tri).
Ces modalités de calcul ne sont pas anecdotiques dans la mesure où c’est sur cette base que le juge administratif apprécie le caractère disproportionné ou non du montant de la TEOM par rapport aux dépenses du service. Or en cas de disproportion, l’illégalité de la délibération ayant déterminé les taux applicables est susceptible d’entraîner la décharge totale de la taxe (voir ci-après).
Face à cette jurisprudence sévère, rares sont les solutions à disposition des collectivités, pour venir limiter les effets d’une annulation ou d’une déclaration d’illégalité.
La substitution de base légale est, d’abord, strictement encadrée. Le Conseil d’Etat estime que l’article 1639 A du CGI autorise l’administration à demander au juge de l’impôt que soit substitué le taux retenu l’année antérieure, dès lors que la délibération prise pour l’année d’imposition ne peut plus servir de fondement légal (CE, 26 juin 1996, n° 148711, SARL Rossi Frères).
Mais deux limites apparaissent alors. D’une part, une telle substitution n’est possible que si l’administration le demande. D’autre part, si l’illégalité de la délibération est constatée par voie d’exception, ce constat n’emportant pas annulation, la délibération illégale reste dans l’ordonnancement juridique. Dès lors, les conditions exigées par l’article 1639 A (à savoir l’absence de notification avant le 15 avril) ne sont pas remplies. Aussi, la substitution de base légale n’est possible qu’en cas de recours direct contre la délibération ayant voté le taux de la TEOM, et si l’administration défenderesse le demande.
Il n’est pas non plus possible de demander au juge de limiter la décharge de l’imposition à la seule fraction correspondant à la disproportion manifeste. Le Conseil d’Etat a très récemment censuré un tel raisonnement (CE, 14 oct. 2018, n° 413896, SAS Mercialys). Le contrôle du juge étant limité à la disproportion manifeste, il ne peut qu’accorder la décharge totale de l’imposition, ou faire application (lorsque les conditions sont réunies) de l’article 1639 A du CGI.
Il pourrait être argué qu’une restitution totale de l’imposition conduirait à un enrichissement sans cause du contribuable, qui aurait bénéficié du service rendu. Mais le juge administratif refuse de reconnaître un tel enrichissement sans cause, la taxe ne constituant pas la contrepartie d’un service rendu, à la différence de la redevance (TA CERGY-PONTOISE, 23 mai 2018, n° 1506791, Société Louvresse Développement I, et concl. Aurore FOUGERES).
Pour les mêmes raisons, la solution d’une délibération rétroactive fixant le taux de TEOM dans de plus justes proportions, bien que séduisante, doit être exclue : si le Conseil d’Etat a estimé qu’une autorité administrative pouvait prendre une nouvelle délibération fixant rétroactivement les tarifs d’une redevance pour service rendu, à la suite de la déclaration d’illégalité d’une précédente délibération tarifaire (CE, Sect., 28 avr. 2014, n° 357090, Anchling), cette solution n’est pas transposable à la TEOM, dont la nature est différente et dont la loi prévoit qu’elle est adoptée avant le 15 avril de l’année d’imposition (article 1639 A CGI), interdisant toute rétroactivité.
Par conséquent, à partir du moment où le juge constate que le taux de la TEOM est disproportionné par rapport aux dépenses de fonctionnement réelles du service de collecte et traitement des déchets ménagers et, depuis 2016, des déchets assimilés, le contribuable peut en principe obtenir la décharge totale de la TEOM.
Il est donc primordial de sécuriser les délibérations fixant le taux de la TEOM.
Outre des choix plus radicaux concernant le financement du service (passage à la REOM ou augmentation de la part incitative), cette sécurisation passe d’abord par une estimation aussi précise et réaliste que possible du coût du service tel que défini par l’article 1520 du code général des impôts (d’ailleurs modifié substantiellement par la loi de finances pour 2019). L’enjeu est de garantir la meilleure adéquation entre le taux voté et les dépenses estimées à la date de ce vote. À cet égard, si des marges de sécurité restent possibles, les estimations trop larges ou trop peu rigoureuses (notamment concernant les frais d’administration générale) courent désormais un risque élevé d’annulation en cas de contentieux.
La sécurisation juridique de la TEOM est d’autant plus importante que l’article 23 loi de finances pour 2019 (loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018) prévoit que le dégrèvement prononcé par le juge en raison du caractère disproportionné du taux de la TEOM sera désormais mis à la charge de la commune ou de l’EPCI compétent, via une réduction des attributions de fiscalité. Ce sont donc les collectivités compétentes qui supporteront in fine les conséquences financières de l’illégalité de leurs décisions en matière de TEOM.