Alors que le gouvernement a récemment présenté son « Plan vélo » destiné à « tripler la part du vélo dans les déplacements quotidiens » et incitant à cet effet les collectivités publiques à développer leurs aménagements cyclables, l’obligation de mettre en place des itinéraires cyclables lors de la création ou de la rénovation de voies urbaines s’impose déjà aux collectivités publiques depuis le 1er janvier 1998.
Cependant, les dispositions du code de l’environnement qui prescrivent cette obligation font à ce jour l’objet d’une jurisprudence très variable selon les juridictions administratives.
L’article L. 228-2 du code de l’environnement, issu de l’article 20 de la loi n°96-1236 du 30 décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie, prévoit :
« A l’occasion des réalisations ou des rénovations des voies urbaines, à l’exception des autoroutes et voies rapides, doivent être mis au point des itinéraires cyclables pourvus d’aménagements sous forme de pistes, marquages au sol ou couloirs indépendants, en fonction des besoins et contraintes de la circulation.
L’aménagement de ces itinéraires cyclables doit tenir compte des orientations du plan de déplacements urbains, lorsqu’il existe. »
Tout d’abord, les dispositions suscitées précisent, à l’évidence, que cette obligation ne s’applique pas aux « autoroutes et voies rapides ». La jurisprudence a ultérieurement ajouté que cette exclusion s’étendait également aux aménagements dont l’objet est indissociable des accès à ce type de voies (CAA Versailles, 20 septembre 2018, n°17VE00563).
L’obligation de mettre en place des itinéraires cyclables lors de la réalisation ou de la rénovation de voies urbaines est tempérée à deux égards par le texte, « en fonction des besoins et contraintes de la circulation » et « [en tenant] compte des orientations du plan de déplacements urbains, lorsqu’il existe ».
Cependant, à la lecture de la jurisprudence, une forte incertitude demeure sur le point de savoir si ces dispositions imposent :
La cour administrative d’appel de Lyon a opté pour la première hypothèse dans un considérant sans équivoque (CAA Lyon, 28 juillet 2003, n°99LY02169) :
« Considérant qu’il résulte de ces dispositions que lorsqu’une commune décide, à compter du 1er janvier 1998, de réaliser ou de rénover une voie urbaine ne constituant ni une autoroute ni une voie rapide, des itinéraires cyclables doivent être mis au point sur l’emprise de cette voie si les besoins et contraintes de la circulation n’y font pas obstacle et si, le cas échéant, la création de tels itinéraires n’est pas incompatible avec les orientations du plan de déplacements urbains ; qu’ainsi, lorsque ces conditions sont remplies, l’opération de réalisation ou de rénovation d’une voie urbaine doit être mise en œuvre sur le fondement d’une décision prévoyant, outre les travaux relatifs aux parties de la voie affectées principalement à la circulation des automobiles ou des piétons, l’aménagement de tels itinéraires »
Une telle solution a depuis été retenue à diverses reprises (TA Lyon, 13 décembre 2011, n°0804721 ; CAA Paris, 5 novembre 2013, n°10PA04758 ; TA Amiens, 18 décembre 2018, n°1603563).
D’autres juridictions administratives ont en revanche retenu la solution inverse.
La cour administrative d’appel de Nantes, confirmant l’analyse du tribunal administratif de Rennes, a ainsi jugé (TA Rennes, 16 octobre 2008, n°06-1136 ; CAA Nantes, 26 juin 2009, n°08NT03365) :
« Considérant qu’il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu imposer aux collectivités concernées, à l’occasion des réalisations ou des rénovations des voies urbaines, une obligation de mise au point d’itinéraires cyclables pourvus d’aménagements adaptés qui peuvent, en fonction des besoins et contraintes de la circulation, être réalisés sous forme soit de pistes, soit de marquages au sol, soit enfin de couloirs indépendants »
Confrontée à une véritable obligation de résultat, le pouvoir d’appréciation de la collectivité publique se trouve alors réduit au seul choix de l’aménagement réalisé (CAA Marseille, 21 mars 2011, n°08MA03960 ; CAA Paris, 5 novembre 2015, n°10PA04758).
C’est ainsi qu’il a pu être jugé :
Les juridictions administratives semblent en revanche s’accorder sur le fait que « les dispositions de l’article L. 228-2 du code de l’environnement n’interdisent pas à l’administration, sous le contrôle du juge et dans une mesure limitée, d’opérer une dissociation partielle de l’itinéraire cyclable et de la voie urbaine réaménagée, lorsque la configuration des lieux l’impose au regard des besoins et contraintes de la circulation » (CAA Paris, 16 novembre 2017, n°16PA01034 ; CAA Paris, 22 février 2018, n°16PA02825, TA Amiens, 18 décembre 2018, n°1603563).
Partant, si certaines juridictions administratives apprécient souplement le respect de l’obligation de mettre en place des itinéraires cyclables lors de la réalisation ou de la rénovation de voies urbaines, il demeure néanmoins que d’autres juridictions adoptent une lecture plus rigoureuse des dispositions de l’article L. 228-2 du code de l’environnement.
Les collectivités publiques doivent donc redoubler de vigilance à cet égard, dans l’attente d’un positionnement du Conseil d’Etat.
En toute occurrence, la méconnaissance de ces dispositions produit des effets limités.
En effet, elle emporte seulement l’annulation de la décision contestée « en tant qu’elle n’a pas prévu la mise en place d’itinéraires cyclables » (CAA Paris, 5 novembre 2013, n°10PA04758).
Elle est par ailleurs sans incidence sur la légalité des autres décisions prises dans le cadre de l’opération de travaux, et notamment les décisions d’approbation de l’offre, d’autorisation de la résiliation des travaux, de désignation du pouvoir adjudicateur et d’autorisation de signer le marché (TA Lyon, 13 décembre 2011, n°0804721).
En pratique, l’insécurité engendrée par les incertitudes jurisprudentielles dans la mise en œuvre de l’obligation pour les collectivités publiques de mettre en place des itinéraires cyclables lors de la réalisation ou de la rénovation de voies urbaines peut donc être relativisée.