3janvier 2023

Ce 2 décembre 2022, le Conseil d’État a rendu une importante importante décision en matière de mise en concurrence du domaine public. La haute juridiction administrative a précisé les modalités de son contrôle de l’obligation de publicité et de mise en concurrence préalablement à la délivrance d’un titre d’occupation du domaine public à un opérateur économique agissant sur un marché concurrentiel, que ce titre soit contractuel ou unilatéral, à l’aune de la jurisprudence Promoimpresa de la CJUE.

Les faits portent sur la conclusion d’un contrat d’une durée de quinze ans portant sur l’exploitation des six courts de tennis situés dans le jardin du Luxembourg au profit de la Fédération française de tennis – Ligue de Paris.

Cette attribution a été contestée par la société PARIS TENNIS dans le cadre d’un recours dit Tarn-et-Garonne permettant aux tiers lésés de contester la validité d’un contrat administratif. Le tribunal administratif de Paris, confirmé par sa cour, a rejeté son recours.

Par une décision n° 434582 en date du 10 juillet 2021, le Conseil d’État a une première fois désavoué ces juridictions en jugeant que :

« La cour administrative d’appel, qui était saisie d’un moyen tiré de ce que la réglementation édictée par le Sénat en matière de contrats d’occupation du domaine public méconnaissait le droit de l’Union européenne à la fois au regard du principe de non-discrimination issu de l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et des dispositions de la directive du 12 décembre 2006, s’est bornée à relever que la convention contestée ne présentait pas d’intérêt transfrontalier certain, pour en déduire que le requérant ne pouvait utilement se prévaloir du principe de non-discrimination. En jugeant que l’absence d’intérêt transfrontalier certain avait pu légalement dispenser le Sénat d’organiser une procédure de mise en concurrence avant la signature du contrat, alors qu’une telle circonstance était sans incidence sur l’application de la directive du 12 décembre 2006, la cour a entaché son arrêt d’erreur de droit ».

Invitée à se prononcer à nouveau, par un arrêt n° 20PA02414 en date du 27 mai 2021, la CAA de Paris a de nouveau rejeté la demande de PARIS TENNIS est estimant que l’éventuelle méconnaissance de l’article 12 de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur n’est pas susceptible, en l’absence de toute circonstance particulière alléguée par la société, d’entacher la convention d’un vice d’une particulière gravité de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d’office.

Cette motivation, appliquant de façon particulièrement laconiques les conditions déjà restrictives du recours Tarn-et-Garonne, peinait à convaincre.

C’est donc sans surprise que le Conseil d’État a une nouvelle fois déjugé la CAA de Paris par un arrêt particulièrement motivé.

En premier lieu, le Conseil d’État rappelle sa propre décision du 10 juillet 2020 par laquelle il avait considéré qu’aucune des stipulations de la convention ne permet de caractériser l’existence d’une mission de service public que le Sénat aurait entendu déléguer à cet organisme.

Si tel avait été le cas, le Sénat aurait dû faire application du droit de la commande publique.

La qualification de contrat domanial acquise, le Conseil d’État a ensuite apprécié si le contrat attaqué doit être ou non regardé comme délivrant une autorisation pour une activité, disponible en nombre limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables, au sens de l’article 12 de la directive « Services », lequel dispose :

« Lorsque le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables, les États membres appliquent une procédure de sélection entre les candidats potentiels qui prévoit toutes les garanties d’impartialité et de transparence, notamment la publicité adéquate de l’ouverture de la procédure, de son déroulement et de sa clôture ».

Il convient à ce stade de préciser que l’article 4, point 6, de cette même directive définit la notion d’autorisation comme toute procédure qui a pour effet d’obliger un prestataire ou un destinataire à faire une démarche auprès d’une autorité compétente en vue d’obtenir un acte formel ou une décision implicite relative à l’accès à une activité de service ou à son exercice.

Dans un premier temps, le Conseil d’État estime que le titre d’occupation en litige, qui constitue un acte formel relatif à l’accès à une activité de service ou à son exercice, délivré à la suite d’une démarche auprès d’une autorité compétente, constitue donc une autorisation au sens de la même directive.

Il s’agit là d’une précision de la plus haute importance, et ce d’autant plus à l’aune des conclusions de la rapporteuse publique dans cette affaire, Céline Raquin.

En effet, cette dernière considère que dès lors qu’un titre est toujours nécessaire pour occuper ou utiliser le domaine public, le critère tiré de la nécessité d’une autorisation est systématiquement rempli.

Selon elle, l’analyse doit porter sur la nature de l’activité – économique ou pas – et non sur l’objet ni sur l’effet de l’autorisation conférée.

Au cas d’espèce la nature économique ne faisant aucun doute, le Conseil d’État juge que l’exploitation de court de tennis constitue bien une activité de services au sens de la directive.

Dans un second temps, le Conseil d’État examine la question de la rareté. Et là encore, l’arrêt en novateur en ce qu’il reconnait la rareté de la ressource eu égard à leur localisation, à la faible disponibilité des installations comparables à l’échelle de la Ville de Paris, en particulier au centre de cette ville, ainsi qu’à leur notoriété.

Enfin, le Conseil d’État statue sur les conséquences de l’absence de procédure de sélection préalable sur le contrat.

Ni le consentement de la personne publique ni la licéité du contenu de la convention n’étant en cause, et en l’absence de circonstances particulières, l’annulation rétroactive du contrat ne s’impose pas.

En revanche, le Conseil d’État estime qu’un tel vice rend impossible la poursuite du contrat et en prononce la résiliation.

CE, 2 décembre 2022, n° 455033

Cabinet Coudray
Jean-Éric CORILLION
Publié le 03/01/2023 dans # Veille juridique