5décembre 2024

Rédigé par Maître Ludovic DUFOUR, Avocat senior et Madame Blanche ATTENOT, Élève-avocat au Cabinet Coudray UrbanLaw

 

Les congés menstruels, déjà instaurés dans certains pays, suscitent un débat croissant en France.

Bien qu’absent du droit national, ce dispositif vise à répondre aux besoins spécifiques des salariées souffrant de douleurs liées à leurs cycles menstruels, comme l’endométriose ou la dysménorrhée. Si plusieurs entreprises privées ont franchi le pas en France en proposant ce type d’aménagements, les initiatives des collectivités territoriales pour leurs agentes se heurtent encore à des obstacles juridiques.

C’est ce qu’illustrent trois ordonnances rendues le 20 novembre 2024 par le juge des référés du Tribunal administratif de Toulouse, qui ont suspendu les délibérations adoptées respectivement par la commune de Plaisance-du-Touch, son Centre Communal d’Action Sociale (CCAS), et la Communauté de Communes du Grand Ouest Toulousain. Ces délibérations visaient à instaurer un congé menstruel sous la forme d’autorisations spéciales d’absence (ASA) pouvant aller jusqu’à 13 jours par an.

Les ASA, distinctes des congés annuels et prévues à l’article L.622-1 du code général de la fonction publique, sont des jours d’absence accordés exceptionnellement aux agents publics à l’occasion de certains évènements professionnels ou familiaux. Cependant, pendant de nombreuses années, le régime des ASA n’était pas encadré formellement au niveau national. L’application de ce régime par les collectivités publiques s’est donc révélée très disparate, voir permissive. Ainsi, on a pu voir naître des congés exceptionnels propres à certaines collectivités tels que le « jour du maire » ou encore le « pont de l’ascension ».

Dans un souci d’harmonisation, le législateur s’est vu dans l’obligation d’intervenir. Aussi, depuis l’entrée en vigueur de la loi de transformation de la fonction publique le 1er janvier 2022, tous les congés accordés réduisant la durée du temps travail effectif sans base légale ou règlementaire ne peuvent plus être maintenus. La plupart des ASA sont aujourd’hui fixées par des circulaires (mariage, pacs, maladie d’un enfant, décès…).

Pourtant, c’est ce régime des ASA qui a permis d’adapter rapidement les conditions de travail des agents publics durant la pandémie de Covid-19, notamment pour les personnes vulnérables ou en quarantaine.

Néanmoins, les ASA mises en place pendant le Covid s’appuyaient sur des instructions claires émanant de l’État dans un contexte d’état d’urgence sanitaire. Ces dispositions exceptionnelles avaient été explicitement encadrées par des circulaires et des textes spécifiques, garantissant leur conformité avec le cadre réglementaire national.

À l’inverse, pour le juge des référés, les congés menstruels proposés par les collectivités concernées ne bénéficient pas d’une telle assise légale. En l’absence de lois ou de règlements prévoyant cet usage des ASA, leur instauration par les collectivités territoriales s’apparente à une extension non autorisée de leurs prérogatives.

L’argumentation des collectivités reposait sur la libre administration qui leur est reconnue par l’article 72 de la Constitution. Or, le juge administratif est venu, par ces ordonnances, rappeler que toute initiative locale se doit de respecter le principe de légalité. En effet, le pouvoir réglementaire des collectivités, bien que large en matière d’organisation de leurs services, ne permet pas de créer de nouvelles catégories de droits pour leurs agents, sauf à s’inscrire dans les limites définies par le législateur, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Notons également que le tribunal administratif de Toulouse a écarté l’argumentation de la Communauté de Communes du Grand Ouest Toulousain qui entendait fonder la mise en place d’un congé menstruel sur le droit à l’expérimentation locale tiré de l’article 72 de la Constitution. Sans surprise, le juge considère que l’expérimentation locale nécessitait une autorisation législative préalable qui n’existe pas en matière de congés menstruels.

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Sur une problématique de santé publique importante, ces ordonnances rappellent que les collectivités territoriales doivent se conformer au cadre juridique en vigueur et disposent d’une autonomie limitée pour créer des solutions face à de nouvelles problématiques.

Si les initiatives locales en faveur des congés menstruels traduisent une volonté de progrès social, leur mise en œuvre nécessite au préalable – à suivre le juge toulousain – une intervention législative nationale. Or, celle-ci peine à venir, une proposition de loi sur ces congés menstruels ayant été rejetée à la fois par la Sénat et l’Assemblée nationale en début d’année.

Le débat est désormais ouvert. À défaut d’une réforme claire et encadrée, et sous réserve que la solution soit confirmée par les juges du fond, les collectivités publiques restent aujourd’hui limitées dans leur capacité à répondre à cette attente sociétale.

Une possibilité, suggérée d’ailleurs par la préfecture, consisterait à recourir aux congés de longue maladie fractionnés prévus à l’article L. 822-9 du code général de la fonction publique. Si ces congés permettent le maintien du plein traitement pendant un an, ils sont toutefois soumis à une procédure lourde (notamment l’obtention d’un avis du comité médical) et à des conditions particulièrement contraignantes (critères de gravité, nécessité de suivre des soins prolongés…) qui font douter de leur applicabilité aux douleurs menstruelles.

Cabinet Coudray Publié le 05/12/2024 dans # Veille juridique