Rédigé par Maître Ludovic DUFOUR, Avocat senior et Monsieur David PLAUT, Juriste au Cabinet Coudray UrbanLaw
Le Conseil d’État a rendu, sur conclusions contraires du rapporteur public, sa position concernant l’épineuse question de l’octroi de la protection fonctionnelle aux agents publics poursuivis devant la nouvelle chambre du contentieux de la Cour des comptes au titre de la responsabilité financière des gestionnaires publics (RFGP).
Dans l’affaire en cause, deux requérants avaient demandé au Conseil d’État d’annuler pour excès de pouvoir la note n° 360/24/SG du 2 avril 2024 de la secrétaire générale du Gouvernement relative au nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics et à la protection fonctionnelle.
Pour mémoire, l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics, entrée en vigueur le 1er janvier 2023, a instauré un régime répressif plus élargi puisque, désormais, tout agent public, agissant en qualité de gestionnaire public, même de fait, peut être poursuivi devant la chambre du contentieux (7ème) de la Cour des comptes chargée de sanctionner les éventuels manquements ou infractions des gestionnaires publics.
Le champ d’application de ce nouveau régime de responsabilité correspond désormais à l’ensemble des personnes physiques (dirigeants, administrateurs ou agents) exerçant leurs fonctions dans un organisme soumis soit au contrôle de la Cour des comptes, soit au contrôle d’une Chambre régionale des comptes. S’agissant plus particulièrement des organismes publics, est aujourd’hui justiciable « tout fonctionnaire ou agent », sans distinction de grades ou de fonctions.
La question s’est rapidement posée pour les administrations de l’applicabilité ou non de la protection fonctionnelle, aujourd’hui codifiée aux articles L. 134-1 à L. 134-12 du code général de la fonction publique (CGFP), aux agents publics faisant l’objet de poursuites devant le juge financier. La question avait notamment été posée lors d’un colloque sur la RFGP organisé à l’INSP le 8 novembre 2023, l’opinion dominante se montrant alors favorable à l’octroi de la protection fonctionnelle, y compris parmi les membres de la Cour des comptes.
La réponse de la jurisprudence s’est révélée plus hésitante : si certaines juridictions se sont prononcées, en référé comme au fond, vers une reconnaissance de la protection fonctionnelle en ce domaine (TA Paris, ord., 14 mars 2024, n° 2403460 ; TA Bastia, 10 décembre 2024, n° 2200173), d’autres s’y sont opposé (TA Lille, ord., 14 novembre 2024, n° 2410562).
C’est dans ce contexte de forte incertitude juridique que le secrétariat général du Gouvernement, par la note (circulaire) du 2 avril 2024, a décidé de fixer la doctrine générale de l’État sur cette question. Une approche particulièrement stricte a été retenue en considérant que la procédure de mise en cause devant la Cour des comptes ne répondait pas aux conditions légales permettant l’octroi de la protection fonctionnelle, notamment au motif que cette procédure ne pouvait être regardée comme des constituant des « poursuites pénales » au sens de l’article L. 134-4 du CGFP (qui prévoient la protection fonctionnelle en pareil cas, à condition que les faits n’aient pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice des fonctions).
La note a néanmoins relevé, de façon paradoxale, qu’il était toujours loisible à l’administration d’apporter à l’agent mis en cause un soutien, notamment par un appui juridique, technique ou humain dans la préparation de sa défense.
Saisie de la légalité de cette note, le Conseil d’État a adopté la même lecture stricte des dispositions de l’article L. 134-4 du CGFP et, contre la position exprimée à l’audience par son rapporteur public, a refusé de se fonder sur le principe général du droit (CE, Sect., 26 avril 1963, Centre hospitalier de Besançon, n° 42783, P. 243) pour étendre la protection fonctionnelle aux procédures en responsabilité financière devant la Cour des comptes.
Cette position du Conseil d’État peut être reliée à une décision rendue tout récemment par le Conseil constitutionnel (décision n° 2024-1106 QPC du 11 octobre 2024), lequel avait refusé d’ériger la protection fonctionnelle au rang de principe fondamental reconnu par les lois de la République.
À l’heure où la RFGP monte en puissance, avec plus de cinquante dossiers qui seraient en cours d’instruction et une interprétation assez extensive des infractions financières par la Cour des comptes (en particulier la notion de « préjudice financier significatif »), il est à craindre que cette jurisprudence, qui laisse aux agents le soin de souscrire une assurance spécifique à leurs frais, ne favorise pas la culture de la responsabilité et du risque qu’était censée faire advenir ce nouveau régime.
CE, 29 janvier 2025, n°s 497840, 498835 – concl. Agnoux