12novembre 2024

 

 

 

L’obligation de rendre accessible aux personnes en situation de handicap l’ensemble des infrastructures de la vie quotidienne a fait l’objet de nombreuses lois. Si leur mise en œuvre a parfois été différée, ces lois ont sans cesse étendu le champ d’application de l’obligation de cette mise en accessibilité.

Il en est ainsi de l’article 2 de la loi du 13 juillet 1991 portant diverses mesures destinées à favoriser l’accessibilité aux personnes handicapées qui a consacré une obligation d’accessibilité de la voirie ouverte à la circulation publique, que ces voies soient publiques ou privées.

Il en est de même de l’article 41 de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui a quant à lui prévu une disposition analogue les « locaux d’habitation, qu’ils soient la propriété de personnes privées ou publiques, des établissements recevant du public, des installations ouvertes au public et des lieux de travail [soient] accessibles […] quel que soit le handicap ».

Il en est enfin encore ainsi de l’article 47 de cette loi concernant l’accessibilité des sites internet ou de son article 45 qui a imposé une telle accessibilité de toute « la chaîne du déplacement, qui comprend le cadre bâti, la voirie, les aménagements des espaces publics, les systèmes de transport et leur intermodalité ».

Ces extensions successives de l’obligation de mise en accessibilité dépendent toutefois des définitions retenues de chacun de ces termes. De façon à préciser le champ d’application de cette dernière disposition, l’article 1er du décret du 21 décembre 2006 a indiqué que :

« l’aménagement, en agglomération, des espaces publics et de l’ensemble de la voirie ouverte à la circulation publique et, hors agglomération, des zones de stationnement, des emplacements d’arrêt des véhicules de transport en commun et des postes d’appel d’urgence est réalisé de manière à permettre l’accessibilité de ces voiries et espaces publics aux personnes handicapées ou à mobilité réduite avec la plus grande autonomie possible »

La notion d’agglomération, pourtant absente de la loi, détermine donc le champ et l’étendue de cette obligation d’accessibilité.

Saisi d’un litige relatif à l’application de ces dispositions, le juge administratif a eu l’occasion de préciser le sens qu’il convenait d’attribuer à cette notion.

Cette notion d’agglomération reçoit des sens très variés selon les dispositions en cause : celle de l’article L. 2334-21 du code général des collectivités territoriales pour l’attribution de la dotation de solidarité rurale est ainsi différente de celle de l’article L. 302-5 du code de la construction et de l’habitat pour la réalisation de logements sociaux, elle-même différente de celle retenue pour l’application des dispositions du code de l’environnement relatives aux enseignes publicitaires à l’intérieur des agglomérations, fixée par l’arrêt CE, 13 mars 2020, n° 427207.

Pour la Cour administrative d’appel de PARIS, il convenait d’apprécier le sens de cette notion à l’aune des travaux législatifs de la loi du 11 février 2005. Bien que ce terme d’agglomération soit absent de celle-ci, le décret pris pour son application devait néanmoins être lu selon l’intention du législateur :

« 11. Pour la mise en œuvre “en agglomération” des dispositions de l’article 1er du décret n° 2006-1657 du 21 décembre 2006 à l’égard ” des espaces publics et de l’ensemble de la voirie “, la définition de la notion d’ “agglomération” qu’il importe de retenir, conformément à l’objet même de l’article 45 de la loi n° 2005-102 du 10 février 2005, éclairé par ses travaux préparatoires, ne peut pas être celle spécifiquement fixée par les articles R. 411-2 et R. 110-2 du code de la route, qui ne constituent pas des ” textes réglementaires d’application ” de la loi du 11 février 2005 au sens de l’article 101 de cette dernière et auxquels, au demeurant, le décret du 21 décembre 2006 ne renvoie même pas. Elle doit, s’inspirant ainsi de celle donnée par l’Institut national de la statistique et des études économique, chargé du service public statistique en vertu de l’article 1er de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, consister en une commune ou d’une partie de commune présentant une zone de bâti continu sans coupure. Compte tenu de la portée ainsi attribuée à la notion d’agglomération, le pouvoir réglementaire n’a pas, en édictant la distinction prévue à l’article 1er du décret du 21 décembre 2006, méconnu l’objectif poursuivi par le législateur, et la requérante n’est en tout état de cause pas fondée à contester sur ce point, par voie d’exception d’illégalité, la légalité des dispositions en cause. » (CAA PARIS, 19 octobre 2023, n° 23PA00771)

En s’appuyant sur ces travaux parlementaires, la Cour administrative d’appel définissait ce champ d’application en référence à celle donnée par l’INSEE, l’agglomération constituant « une commune ou d’une partie de commune présentant une zone de bâti continu sans coupure ».

Saisi du pourvoi contre cet arrêt, le Conseil d’État devait donc définir, pour la première fois, le champ d’application de ce décret, et par ricochet, de « la chaîne du déplacement, qui comprend le cadre bâti, la voirie, les aménagements des espaces publics, les systèmes de transport et leur intermodalité ».

Censurant l’arrêt de la Cour, le Conseil d’État a préféré faire reposer cette définition de l’agglomération sur celle du code de la route :

« 3. D’autre part, aux termes de l’article R. 110-2 du code de la route, une agglomération s’entend d’un “espace sur lequel sont groupés des immeubles bâtis rapprochés et dont l’entrée et la sortie sont signalées par des panneaux placés à cet effet le long de la route qui le traverse ou qui le borde”. Aux termes de l’article R. 411-2 du même code : “Les limites des agglomérations sont fixées par arrêté du maire”.

4. Il résulte des dispositions législatives citées au point 2 un objectif d’accessibilité de la voirie, des aménagements des espaces publics et des transports visant notamment à faciliter le déplacement des personnes en situation de handicap. A cet effet, l’article 1er du décret du 21 décembre 2006 impose aux autorités compétentes de procéder, dans les conditions qu’il définit, à la mise en accessibilité, en agglomération, de la voirie ouverte à la circulation publique et des espaces publics et, hors agglomération, des zones de stationnement, des emplacements d’arrêt des véhicules de transport en commun et des postes d’appel d’urgence. Pour l’application de ces dispositions, la notion d’agglomération doit, au regard de leur objet, être déterminée par référence à celle définie par les articles R. 110-2 et R. 411-2 du code de la route. Par suite, en écartant, pour leur mise en œuvre, la définition de l’agglomération résultant du code de la route au profit d’une définition spécifique, inspirée de celle donnée par l’Institut national de la statistique et des études économiques, la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit. » (CE, 1er octobre 2024, n° 490044)

Plutôt qu’une nouvelle définition autonome ou celle de l’INSEE, c’est donc à une coordination entre la loi du 11 février 2005 et les dispositions déjà existantes qu’a préféré procéder le Conseil d’État. Cette solution particulièrement claire permettra, pour chaque collectivité, d’apprécier sur son territoire le champ d’application de cette obligation d’accessibilité de l’ensemble de la « chaîne du déplacement ».

Le juge administratif sera toutefois probablement vigilant dans la mise en œuvre de cette définition. Si le maire fixe lui-même les limites de l’agglomération, il ne saurait cependant dans la détermination de ces limites, se soustraire à l’objectif législatif d’accessibilité de la voirie, des aménagements des espaces publics et des transports.

Cabinet Coudray
François MARANI
Publié le 12/11/2024 dans # Veille juridique