23janvier 2019

(Cass, 3ème civ., 6 décembre 2018, n°17-24.312)

Par un arrêt du 6 décembre 2018, la troisième chambre civile de la Cour de cassation n’a pas censuré la méthode d’évaluation en tréfonds proposée par l’expert PINCHON et appliquée – une unique fois – par la chambre des expropriations de la Cour d’appel de Paris dans un arrêt « Lebrun » du 29 juin 2017 (CA Paris, ch. Expro., 29 juin 2017, n°10/07984).

Dans son arrêt, très attendu par les porteurs de projets impliquant des acquisitions en tréfonds, la Cour de cassation considère :

« Sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal :

Attendu que la RATP fait grief à l’arrêt du 29 juin 2017 de fixer comme il le fait l’indemnité de dépossession et l’indemnité de remploi, alors, selon le moyen, que les indemnités allouées par le juge de l’expropriation couvrent l’intégralité du préjudice qui résulte directement de l’expropriation ; que les dommages qui résultent de la construction d’un ouvrage public sur un bien exproprié ne résultant pas directement de l’expropriation, ils ne peuvent être réparés par le juge de l’expropriation et doivent l’être par le seul juge administratif ; qu’en retenant comme pertinente une méthode d’évaluation qui faisait dépendre le montant de l’indemnité d’expropriation du tréfonds de l’implantation future d’un ouvrage public, la cour d’appel a violé l’article L. 13-13 devenu L. 321-1 du code de l’expropriation ;

 Mais attendu que la cour d’appel, qui ne s’est pas référée à la présence de l’ouvrage public, mais aux caractéristiques et à la situation du terrain, à la qualité du sol et à la profondeur de la nappe d’eau souterraine, a souverainement choisi la méthode d’évaluation du tréfonds lui paraissant la mieux appropriée au bien en cause ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ; »

Cette décision apparaît à première lecture hautement contestable. 

A cet égard, il faut préciser que l’arrêt d’appel soumis à son contrôle évaluait l’emprise en tréfonds appartenant aux expropriés sur la base de la « valeur plancher » de 10 % (de la valeur du terrain de surface) proposée par l’expert PINCHON.

Or, ces 10 % étaient justifiés :

–      Pour moitié par les contraintes juridiques susceptibles de résulter de la présence de l’ouvrage (autorisation à solliciter auprès du propriétaire de l’ouvrage public) ;

–      Et pour moitié par les perturbations susceptibles d’être générées par la présence du tunnel et le fonctionnement du métro.

Ce faisant, la valeur plancher proposée par l’expert PINCHON non seulement ne se rapportait pas à la valeur intrinsèque de l’emprise en tréfonds expropriée (alors qu’il s’agissait d’évaluer l’indemnité de dépossession), mais en outre était fondée sur des contraintes juridiques et techniques éventuelles – et donc incertaines – en méconnaissance des dispositions de l’article L. 321-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique (« Les indemnités allouées couvrent l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation »).

Pis, cette valeur plancher s’inscrivait en méconnaissance manifeste de la répartition des compétences juridictionnelles et plus précisément de la compétence exclusive du juge administratif s’agissant de l’indemnisation des préjudices résultant de la création ou du fonctionnement d’un ouvrage public (les dommages temporaires et permanents de travaux publics) (voir par exemple : TC, 28 juin 1976, n°2028 ; Cass, 3ème civ., 13 mars 1969, n°68-70.052 ; Cass, 3ème civ., 17 juillet 1978, n°77-70.281 ; Cass, 3ème civ., 27 juin 1973, n°72-70.258).

Est-ce à dire que la Cour de cassation valide une nouvelle méthode d’évaluation des tréfonds fondée sur une valeur plancher motivée en méconnaissance des principes élémentaires du droit de l’expropriation ?

La lecture attentive de la décision de la haute Cour conduit à répondre négativement à cette interrogation.

En effet, il importe de constater d’abord que la Cour de cassation a pris soin de préciser que l’arrêt de la Cour d’appel, lequel est seul soumis à son contrôle à l’exclusion du rapport PINCHON lui-même, ne se référait pas expressément à la présence de l’ouvrage public.   

Il y a lieu également de constater que la Cour de cassation ne valide pas expressément la méthode d’évaluation retenue, mais renvoie, dans les limites de son contrôle de cassation, à l’appréciation souveraine des juges du fond s’agissant du choix de la méthode d’évaluation.

Enfin, il importe de souligner que, dans la même décision, la Cour de cassation n’a pas manqué de censurer la seconde innovation de l’arrêt « Lebrun », par laquelle la Cour d’appel avait sursis à statuer sur la demande formulée par les expropriés au titre de la dépréciation du surplus dans l’attente de l’élaboration d’un projet de construction – qui serait contrarié par la présence du tunnel. Or, c’est précisément au visa de l’article L. 321-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et sur la base de la distinction des préjudices résultant de l’expropriation et ceux résultant de la présence et de l’ouvrage public que l’arrêt d’appel est censuré par la haute Cour.

Il semble donc en définitive qu’il ne faille pas voir dans l’arrêt de la haute Cour une quelconque validation de la méthode PINCHON et de la valeur plancher de 10 % qui y est proposée. Au contraire, il apparaît probable qu’une décision juridictionnelle reprenant ces 10 % et leur motivation serait inéluctablement censurée par la Cour de cassation, laquelle garantit le respect des dispositions du code de l’expropriation et en premier lieu de l’article L. 321-1.  

Cabinet Coudray Publié le 23/01/2019 dans # Publications