11mai 2023

Article rédigé par Cédric ROQUET, Avocat et François MARANI, Élève avocat au Cabinet Coudray

L’adoption le 4 mai dernier, en première lecture, d’une proposition de loi supprimant le chapitre II de la loi n° 2021‑1040 du 5 août 2021, c’est-à-dire mettant fin à l’obligation vaccinale de certains personnels, ne doit pas détourner l’attention de l’instruction du 2 mai 2023 de la DGOS[1], laquelle anticipe la suspension de cette obligation par un prochain décret.

Il convient en effet, pour les employeurs de ces personnels comme aux personnels suspendus eux-mêmes, d’être attentifs au contenu de cette instruction relative aux modalités de réaffectation des agents à la suite de la levée de l’obligation vaccinale contre la COVID-19. Celle-ci annonce l’adoption prochaine – la date du 14 mai est ainsi indiquée – d’un décret suspendant cette obligation dès le lendemain de sa parution. Dans ces conditions, les employeurs de l’ensemble des personnels concernés par cette suspension[2] doivent dès à présent prévoir et organiser ces réintégrations.

  • L’absence de tout droit acquis pendant la période de suspension :

Le principe directeur de cette circulaire s’inscrit dans la trajectoire déjà définie : la réintégration de ces personnels se fera sans compensation de la période pendant laquelle ceux-ci n’ont pas travaillé du fait de leur refus de se soumettre à l’obligation qui leur était faite. De cette façon, aucune rémunération, aucun droit à congé, aucune prise en compte de période ouvrant doit à l’avancement ni aucun droit à pension n’a pu être acquis par un agent durant sa suspension.

Outre ce rappel, l’instruction du 2 mai 2023 constitue un véritable mode d’emploi à l’attention notamment des directeurs d’EHPAD ou d’hôpitaux, à l’attention desquels un modèle de courrier destiné aux agents suspendu est également joint. Cette réintégration diffère toutefois, suivant qu’il s’agisse d’un agent public – fonctionnaire ou contractuel – ou d’un contractuel de droit privé. L’hypothèse des personnels médicaux est également envisagée.

  • Les modalités de réintégration des agents publics et des agents de droit privé :

S’agissant tout d’abord des agents publics, c’est un véritable droit commun de la suspension qui a vocation à s’appliquer. De cette façon, l’agent suspendu devra par principe être affecté sur le poste occupé jusqu’à sa suspension ou sur un poste ou un emploi équivalent. Néanmoins, compte tenu de la durée de la suspension – près de 20 mois se sont potentiellement écoulés depuis le 15 septembre 2021 – ce poste sera très probablement pourvu, aussi la deuxième hypothèse devra probablement être privilégiée. Les conditions d’une telle équivalence sont systématisées par l’instruction à partir de la jurisprudence traditionnelle en ce domaine[3] : la nouvelle affectation n’entraîne aucune modification substantielle dans la nature des fonctions, le niveau des responsabilités, la rémunération ou la résidence administrative. De même cette nouvelle affectation ne saurait avoir lieu sur une autre implantation géographique et n’est motivée que par la bonne marche de ce service.

S’agissant ensuite des agents contractuels de droit privé, la reprise des relations contractuelles s’opère dans des conditions proches de celles applicables aux agents public. Il convient néanmoins de souligner que, contrairement à l’agent public, le salarié de droit privé devra être prioritairement affecté sur son poste initial et ce n’est que si cette affectation est impossible qu’elle devra être faite sur un poste considéré comme équivalent[4]. La systématisation de la jurisprudence applicable en ce domaine par l’instruction permet de définir le poste équivalent comme celui qui n’appelle aucune modification de la rémunération, du volume de travail, des fonctions du salarié et de l’organisation du travail. Conformément à la jurisprudence judiciaire, le droit à réintégration ne suppose pas nécessairement la même localisation, cette recherche d’emploi équivalent devant être faite à l’échelle de l’entreprise ou de l’unité économique et sociale s’il en existe une[5].

S’agissant enfin des personnels médicaux, l’instruction souligne une spécificité propre à la mobilité des praticiens qui pourrait découler du processus de réintégration. Aux termes de celle-ci, la situation diffère selon le statut dont relève le praticien. En effet, s’agissant des praticiens hospitaliers, la mutation dans un autre établissement est possible sous réserve de remplir les conditions posées aux articles R. 6152-6 et R. 6152-7 du code de la santé publique. Pour les praticiens contractuels : si le contrat est encore en cours d’exécution lors de la levée de l’obligation, le praticien contractuel reprend son poste. Si le contrat est arrivé à échéance pendant la période de validité de l’obligation vaccinale, il n’y a plus de lien entre l’établissement et le praticien. Celui-ci doit donc rechercher un autre poste.

En toutes hypothèses, si la réintégration devait être différée au-delà du lendemain de la parution du décret à venir, la rémunération devrait, elle, l’être dès la fin de la mesure de suspension. Soulignons enfin qu’il est toujours possible pour l’agent de refuser le poste proposé par son employeur. En de telles circonstances, ce dernier devra en tirer toutes les conséquences y compris dans le cadre des décisions les plus unilatérales en radiant l’agent des cadres (fonctionnaire) des effectifs (contractuel de droit public) ou en le licenciant (contractuel de droit privé).

C’est à ce titre que l’instruction fait par ailleurs le point sur des modalités plus concertées de rupture de la relation de travail.

  • Les outils à disposition des établissements et des agents pour faire face aux difficultés :

Pour faire face aux difficultés susceptibles de se présenter, l’instruction comprend également certains conseils destinés à permettre la réintégration la plus aisée possible. De cette façon, en dehors de toute obligation, l’employeur est invité à proposer une visite médicale de réintégration à l’agent suspendu eu égard à la durée particulièrement longue de la suspension.

De même, la circulaire rappelle l’ensemble des moyens propres à résorber les difficultés qui se présenteraient, lesquels s’échelonnent de la mesure la plus négociée à la plus unilatérale, tel que sus-envisagé.  De cette façon, le recours à la médiation nationale instituée par le décret du 28 août 2019 est cité parmi les « leviers mobilisables en cas de difficultés ». Cette médiation, pouvant être initiée même préventivement par l’une des parties concernées. Elle pourra fournir un appui utile pour ne pas recourir à des solutions plus unilatérales.

Néanmoins, si l’affectation envisagée est impossible compte tenu des troubles que celle-ci suscite, un changement d’affectation dans l’intérêt du service est alors envisageable. Cette mesure est cependant circonscrite au cas où la présence de l’intérêt dans le service trouble sa bonne marche et qu’une telle mesure est susceptible de permettre le retour d’une certaine sérénité dans celui-ci. Dans cette hypothèse, il conviendra de demeurer attentif aux conditions traditionnelles pour qu’une telle décision soit regardée comme une simple mesure d’ordre intérieure[6] ainsi qu’à la jurisprudence récente, laquelle exige de l’employeur public qu’il prenne notamment en considération la situation familiale de l’agent lors du prononcé de cette décision[7].

Si ce changement d’affectation n’est pas adapté à la situation, une rupture conventionnelle, est envisageable. Il convient néanmoins de noter que le calcul de l’indemnité de rupture doit être adapté à l’impossible référence à la rémunération brute annuelle perçue par l’agent au cours de l’année civile précédant celle de la date d’effet de la rupture conventionnelle[8].

En pareille circonstance, l’instruction précise sur ce point qu’il convient de remplacer la rémunération brute annuelle perçue par l’agent au cours de l’année civile précédant celle de la date d’effet de la rupture conventionnelle par la rémunération brute annuelle perçue par l’agent au cours de l’année civile précédant la date de la suspension.

L’instruction rappelle enfin que ce levier de la rupture conventionnelle n’est mobilisable que pour les seuls praticiens contractuels en CDI et praticiens attachés, excluant de facto les praticiens titulaires dès lors qu’ils n’ont pas le statut de fonctionnaire et que le code de la santé publique ne prévoit pas un dispositif équivalent pour ces derniers.

 

[1] Instruction n° DGOS/RH3/RH4/RH5/2023/63 du 02 mai 2023 relative aux modalités de réaffectation des agents à la suite de la levée de l’obligation vaccinale contre la COVID-19.

[2] Que ces agents aient été suspendu dès l’entrée en vigueur de la loi ou qu’ils l’aient été à l’issue d’une absence pour d’autres motifs, cette décision n’entrant alors en vigueur qu’à compter de la date à laquelle prend fin le congé de maladie de l’agent en question suivant l’ordonnance CE, 2 mars 2022, n° 458353.

[3] CE Section, 16 octobre 1959, n° 39559, Sieur Guille et autres.

[4] Cass. Soc., 30 avril 2003, n° 00-44.811.

[5] Cass. Soc., Soc., 19 nov. 2008, n° 07-43.215.

[6] CE 17 déc. 2008, Dpt des Ardennes, n° 294362.

[7] CE, Ord., 7 juillet 2022, n° 459456.

[8] Visée par l’article 4 du décret du 31 décembre 2019 relatif à l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle dans la fonction publique.

Cabinet Coudray Publié le 11/05/2023 dans # Veille juridique