Rédigé par Maître ANTONA TRAVERSI Raphaële, Avocat associé et Monsieur Gwénolé LEFUR, Élève-avocat au Cabinet Coudray UrbanLaw
Par deux jugements du 15 octobre 2024, le Tribunal administratif de Bastia rappelle l’équilibre entre pouvoirs de police du maire et droit de propriété.
Le Tribunal administratif de Bastia était saisi de deux recours en annulation contre deux arrêtés du 24 octobre 2022 du préfet de la Corse-du-Sud palliant la carence du Maire de Bonifacio dans la mise en œuvre de ses pouvoirs de police en matière de prévention des accidents naturels (L. 2212-2, 5° du Code général des collectivités territoriales).
Ces arrêtés ordonnaient l’évacuation avec interdiction d’habiter de deux immeubles situés dans le secteur de la falaise de la citadelle de Bonifacio.
Le préfet s’était appuyé sur un rapport conjoint du CEREMA, de l’INERIS et du BRGM évaluant l’aléa d’effondrement de la falaise et recommandant des mesures de gestion de ce risque.
Selon ce rapport, les immeubles concernés se trouvaient dans une zone d’aléa de risque fort avec une probabilité d’effondrement de la falaise de 100 ans. Il préconisait plusieurs mesures pour réduire les enjeux humains dont notamment la réalisation d’études complémentaires de la temporalité de l’aléa et de la structure des bâtiments, la mise en œuvre de mesures de confortement du bâti, l’interdiction de toute extension ou nouvelle construction, …
Le préfet en interdisant l’occupation des immeubles avait ainsi pris des mesures bien plus fortes et attentatoires au droit de propriété que celles préconisées par le rapport.
Le Tribunal administratif de Bastia, saisi par les propriétaires des immeubles concernés a jugé que les mesures édictées n’étaient pas strictement proportionnées à leur nécessité, appliquant ainsi le contrôle classique de proportionnalité des mesures de police administrative (CE, 19 mai 1933, Benjamin).
Dans ces jugements, le Tribunal rappelle dans un premier temps que les pouvoirs de police administrative du maire, ou le préfet s’y substituant, ne lui permettent de prendre que des mesures temporaires ou limitées en matière de prévention ou de sauvegarde. Il ne peut donc pas sur le fondement des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales prendre une mesure permanente et définitive privant le propriétaire de l’immeuble de l’usage de son bien en interdisant toute occupation de celui-ci dans l’attente d’une éventuelle acquisition amiable par la commune.
Le Tribunal a ensuite jugé que les mesures de privation des propriétaires de l’immeuble de l’usage de leur bien, en interdisant toute occupation, constituent des mesures permanentes et définitives contraires auxdits articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du Code général des collectivités territoriales et non strictement proportionnée à leur nécessité.
L’annulation des deux arrêtés a donc été prononcée.
Il sera souligné que si Tribunal affirme fermement que le maire ne peut pas prendre une mesure permanente et définitive, il tient tout de même compte, dans son appréciation de la proportionnalité de la mesure, du fait que le rapport sur lequel le préfet s’est appuyé recommandait des mesures moins restrictives que cette interdiction permanente et définitive.
Ces décisions sont à prendre en considération dans le cadre juridique du phénomène du recul du trait de côte.
TA Bastia, 15 octobre 2024, Préfet de la Corse-du-Sud, n°2300494 et 2201607.