9novembre 2020

Une très récente décision de la Cour administrative d’appel de BORDEAUX vient considérablement limiter la possibilité, pour l’administration, d’avancer une substitution de motifs dans les contentieux de retrait de permis de construire.

(CAA BORDEAUX, 3 novembre 2020, Ville de POITIERS, n° 19BX03698)

En l’espèce, un promoteur immobilier avait demandé puis obtenu un permis de construire pour la réalisation de deux bâtiments collectifs, à usage d’habitation, le 8 juin 2018.

Relevant plusieurs illégalités, le maire de la commune a, par un même arrêté retiré puis refusé le permis de construire selon deux motifs.

Estimant que ces deux motifs de retrait étaient mal-fondés, le tribunal administratif de POITIERS a, en première instance, annulé cette décision.

La commune a interjeté appel de cette décision et usé de son pouvoir de demander une substitution de motifs à hauteur d’appel, ainsi que cela est permis, de longue date, par la jurisprudence (en ce sens, voir pour l’arrêt de principe : CE, 6 février 2004, HALLAL, n° 240560 ; pour une confirmation, voir par exemple : CAA LYON, 9 octobre 2012, Mme A., n° 11LY01166 ; CAA DOUAI, 25 mai 2004, M. X., n° 01DA00264).

Pour rappel, il est constant qu’en vertu de la jurisprudence de principe, dite « HALLAL », que :

« l’administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l’excès de pouvoir que la décision dont l’annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision ; qu’il appartient alors au juge, après avoir mis à même l’auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d’apprécier s’il résulte de l’instruction que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif ; que dans l’affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu’elle ne prive pas le requérant d’une garantie procédurale liée au motif substitué » (CE, 6 février 2004, HALLAL, n° 240560).

C’est sur cette notion de « garantie procédurale » que la Cour administrative d’appel de BORDEAUX a trouvé le moyen d’écarter – remarquablement, il faut en convenir – la substitution de motif sollicitée par l’administration.

Tout en reconnaissant fondés les nouveaux motifs avancés à hauteur d’appel, la Cour administrative d’appel de BORDEAUX relève que :

« une décision de retrait d’un permis de construire, qui est une décision soumise à une procédure contradictoire préalable en vertu des dispositions [de l’article L. 122-1 du code des relations entre le public et l’administration] n’est pas, de ce seul fait, exclue du champ de la substitution de motifs dès lors que dans le cadre de la procédure juridictionnelle, le requérant est mis à même de présenter ses observations sur le motif substitué et n’est donc pas privé, quant au contradictoire, d’une garantie de procédure liée au motif substitué. Toutefois, dans l’hypothèse où les motifs de retrait invoqués au titre de la substitution auraient pu, à l’occasion d’une procédure de contradictoire préalable au retrait, donner lieu à une demande de permis de construire modificatif de la part du pétitionnaire, la substitution de motifs demandée devant le juge, qui ne permet pas le dépôt d’une demande de permis modificatif, a pour effet de le priver d’une garantie de procédure » (CAA BORDEAUX, 3 novembre 2020, Ville de POITIERS et autres, n° 19BX03698).

Ce faisant, l’on croit comprendre que la garantie procédurale en question serait la possibilité de solliciter un permis de construire modificatif.

L’arrêt de la Cour administrative d’appel de BORDEAUX est donc critiquable à plus d’un titre :

  • Cet arrêt vide de substance la substitution de motifs en matière de retrait de permis de construire, dès lors que la jurisprudence entend désormais très largement la possibilité de déposer des permis de construire modificatifs sur des projets.

Autrement posé, à suivre la cour, dès lors qu’une substitution de motifs est sollicitée dans un contentieux lié au retrait d’un permis de construire, celle-ci ne serait pas possible à chaque fois qu’un permis de construire modificatif aurait pu purger l’illégalité ;

  • Il semble, également, consacrer la nécessité, pour chaque retrait de permis de construire, de faire connaître l’intégralité des motifs de retrait au pétitionnaire lors de la procédure contradictoire, au risque de ne pouvoir les invoquer en cours d’instance et cela, alors même que rien n’impose que les arrêtés de retrait comportent l’intégralité des motifs qui les fondent.

À titre de comparaison, si, en matière de licenciement d’agents, le juge administratifs a refusé de faire droit à la substitution de motifs (par exemple : TA LILLE, 25 mars 2009, n° 0603899 ; AJFP 2009, p. 269), dans de tels cas, l’exposé de l’intégralité des motifs de licenciement avant la convocation à l’entretien préalable est effectivement une garantie procédurale prévue par les textes pour les trois fonctions publiques.

En matière de retrait de permis de construire, s’applique l’article L. 122-1 du Code des relations entre le public et l’administration, selon lequel ce dernier ne peut intervenir « qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales ».

Aucune obligation d’exposer l’intégralité des motifs, donc.

Or désormais, à suivre la Cour, si un motif de retrait n’a pu être discuté lors de la phase contradictoire, quand bien même celle-ci aurait eu lieu, la substitution de motifs ne pourrait intervenir en matière de retrait de permis de construire.

  • Pour finir, l’on voit mal en quoi le pétitionnaire serait privé, dans un tel cas, d’une garantie procédurale liée à la possibilité de déposer un permis de construire modificatif dès lors que la Loi ELAN a consacré la possibilité de solliciter plusieurs permis sur un même terrain (L. 424-5 du code de l’urbanisme).

En l’espèce, le juge administratif consacre donc sa préférence pour faire revivre une décision illégale rétroactivement (les motifs de retrait invoqués en appel par l’administration étaient fondés, on le rappelle), plutôt qu’inviter le pétitionnaire, éventuellement, à un nouveau dépôt de permis de construire, légal.

Par ailleurs, rappelons que solliciter un permis de construire modificatif sera toujours une faculté pour un pétitionnaire et jamais une obligation et, encore moins, selon nous, une « garantie procédurale », au même titre que le contradictoire, lequel avait, en l’occurrence, été respecté.

Si le juge administratif a, dans cette affaire, certainement entendu donner toute sa portée à la procédure contradictoire préalable précédant le retrait d’un permis de construire, on peut néanmoins s’interroger sur ce qu’il en serait, par exemple, des arrêtés interruptifs de travaux, également soumis au contradictoire et susceptibles d’être rendus sans objet par un permis de construire modificatif (CE, 16 octobre 2019, n° 423275).

 

Cabinet Coudray Publié le 09/11/2020 dans # Veille juridique