14novembre 2024

Rédigé par Maître Guillaume EMÉLIEN, Avocat et Monsieur Corentin BROZILLE, Juriste au Cabinet Coudray UrbanLaw

Par une décision n° 490242 du 31 octobre 2024, les 7ème et 2ème chambres réunies de la Section du contentieux du Conseil d’État apportent d’utiles précisions sur l’indemnisation du manque à gagner du concurrent évincé qui avait des chances sérieuses d’emporter le contrat conclu avec un autre candidat (C.E., 31 oct. 2024, nᵒ 490242, Métropole Aix-Marseille Provence : Lebon T.).

Avant cela, le Conseil d’État a progressivement éclairé les modalités de réparation du préjudice né de l’éviction irrégulière d’un candidat à une la procédure d’attribution d’un contrat de la commande publique : l’indemnisation du préjudice dépend de la probabilité d’obtenir le contrat. Il a récemment synthétisé sa jurisprudence :

« Il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l’absence de toute chance, il n’a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu’il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d’emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre, lesquels n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique. » (C.E., 14 oct. 2019, nᵒ 418317, Société les téléskis de la Croix Fry : Lebon T., p. 823 et 826).

D’ailleurs, il a jugé récemment, rappelant la rigueur de la jurisprudence en cette matière, que l’absence de valeur inférieure de l’offre du candidat évincé par rapport à celles des autres candidats ne signifie, en rien, que ce candidat aurait eu une chance sérieuse d’obtenir le contrat (C.E., 28 nov. 2023, nᵒ 468867, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer : Lebon T., cons. 3 ; voy. égal. les conclusions éclairantes du rapporteur public, Nicolas Labrune, concl. sur C.E., 28 nov. 2023, nᵒ 468867, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, Ariane Web ; pour une critique, voy. Benjamin Blaquière, « L’indemnisation du concurrent irrégulièrement évincé : un régime à repenser », Contrats-Marchés publ. 2024, nᵒ 4, études 3).

L’arrêt du 31 octobre 2024 n’innove pas sur cette première partie du raisonnement. La nouveauté de l’arrêt vient par la suite. Elle concerne l’évaluation du montant du préjudice indemnisable en matière d’éviction irrégulière.

À ce titre, en application d’un principe général du contentieux administratif, il revient au demandeur d’établir les faits qu’il avance, donc ici le caractère direct et certain du montant du préjudice dont il demande l’indemnisation (C.E., sect., 20 juin 2003, nᵒ 232832, Société Établissement Lebreton : Lebon, p. 273).

Dans ce sens, la Haute juridiction précise dans sa décision du 31 octobre 2024 qu’il incombe au juge :

  • De s’assurer que l’irrégularité et les chances sérieuses de l’entreprise d’emporter le contrat sont établies ;
  • De vérifier qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et le préjudice dont le candidat demande l’indemnisation ;
  • D’apprécier dans quelle mesure ce préjudice présente un caractère certain en tenant compte notamment, s’agissant des contrats dans lesquels le titulaire supporte les risques de l’exploitation, de l’aléa qui affecte les résultats de cette exploitation et de la durée de celle-ci.

Le juge de cassation ajoute ensuite que :

« Dans le cas où le contrat a été résilié par la personne publique, il y a lieu, pour apprécier l’existence d’un préjudice directement causé par l’irrégularité et en évaluer le montant, de tenir compte des motifs et des effets de cette résiliation, afin de déterminer quels auraient été les droits à indemnisation du concurrent évincé si le contrat avait été conclu avec lui et si sa résiliation avait été prononcée pour les mêmes motifs que celle du contrat irrégulièrement conclu. »

Enfin, et adoptant une approche pratique, le Conseil d’État explique que :

« […] Le manque à gagner de l’entreprise est évalué par la soustraction du total du chiffre d’affaires non réalisé de l’ensemble des charges variables et de la quote-part des coûts fixes affectée à l’exécution du marché. »

Dans ces conditions, la Haute juridiction censure l’arrêt de la cour administrative pour erreur de droit en ce qu’elle a refusé de tenir compte des coûts fixes (sauf s’ils découlent directement et spécialement de l’obtention du marché) (C.A.A. Marseille, 16 oct. 2023,19MA03272, Société S.M.A. Vautubière, cons. 10). Il juge que l’indemnité intègre nécessairement la part des coûts fixes affectée à l’exécution du marché.

Cabinet Coudray Publié le 14/11/2024 dans # Veille juridique