Loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et nouvelle définition du délit de prise illégale d’intérêt
L’article 432-12 du code pénal punit de cinq ans d’emprisonnement et de 500 000 € d’amende
« le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ».
Pour de nombreux acteurs de la sphère publique (élus, fonctionnaires), cette définition du délit de prise illégale d’intérêt et surtout l’extension que lui a donnée la jurisprudence constituent une véritable épée de Damoclès, susceptible de s’abattre y compris dans des situations en apparence anodines, tel le vote d’une subvention à une association remplissant une mission d’intérêt général et comportant, à ce titre, des représentants de la collectivité (Cass. crim., 22-10-2008, n° 08-82.068, F-P+F).
La redéfinition de cette infraction est devenue un serpent de mer, en particulier depuis qu’en 2011 la commission Sauvé, pourtant peu suspecte de complaisance envers la corruption, en a proposé une nouvelle rédaction afin d’éviter d’incriminer des agissements non seulement dépourvus de toute intention délictuelle mais qui n’étaient même pas nécessairement contraires aux intérêts publics dont leurs auteurs avaient la charge.
C’est précisément cette rédaction proposée il y a plus de dix ans qu’a retenue le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat les 16 et 18 novembre dernier.
Ce projet de loi, actuellement examiné par le Conseil constitutionnel, modifie l’article 432-12 du code pénal en substituant à la notion d’intérêt « quelconque » pris par le décideur public celle d’intérêt « de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité ».
Ce glissement sémantique vise explicitement à faire sortir du champ de l’incrimination des situations où les intérêts en présence ne font que coexister, sans nécessairement être contraires ni même divergents.
À cet égard, il faut reconnaître que l’extension donnée par la jurisprudence à la notion « d’intérêt quelconque » a conduit, par souci de sécurité juridique, à des pratiques sinon absurdes, du moins peu conformes à la bonne administration.
Ainsi, l’élu siégeant dans un organisme extérieur (association…) comme représentant de sa collectivité est-il conduit à éviter de prendre part aux débats (et plus encore aux décisions) alors même qu’il paraît le mieux indiqué pour éclairer son assemblée (cf. HATVP, Guide déontologique II, p. 25-30, février 2020).
De même, l’expérience professionnelle dans un domaine particulier constitue souvent, au regard du risque déontologique et pénal, une contre-indication à suivre les questions correspondantes au sein de la collectivité : argument parfois difficile à entendre pour des élus locaux qui souhaitent légitimement faire bénéficier la collectivité des compétences acquises dans leur vie professionnelle.
Pour autant, il n’est pas certain que la nouvelle rédaction produise les effets attendus : si le juge répressif a donné une large extension à la notion d’intérêt quelconque, qui peut être caractérisé par des relations amicales ou politiques en l’absence de tout profit personnel (Cass. crim., 5 avril 2018, n° 17-81.912, FS-P+B), c’est précisément parce qu’il y a vu des liens de nature à influencer la prise de décision ou, pour reprendre les termes choisis par le législateur, « à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité », peu importe qu’il en retire ou cherche même à en retirer un quelconque bénéfice.
Il appartiendra donc aux juridictions répressives de prendre en compte, au-delà de l’évolution rédactionnelle, l’intention du législateur en ramenant le délit de prise illégale d’intérêt à sa vocation première : sanctionner l’utilisation par les décideurs publics de leurs fonctions à des fins étrangères à l’intérêt général, et non punir la seule coexistence d’intérêts distincts y compris lorsqu’elle obéit à un souci de bonne gestion publique.