11octobre 2022

Par Ludovic DUFOUR et Cédric ROQUET

Le 22 mars 2022, les lois[1] visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, initiées par le député Sylvain Waserman, ont été publiées.

Ces lois résultant de la transposition d’une directive européenne sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union[2] ambitionnaient de pouvoir pallier les carences de la loi du 9 décembre 2016 (dite « loi SAPIN II[3]), jugée insuffisante en matière de protection des lanceurs d’alerte.

Les principaux apports[4] de ces lois portaient sur un renforcement de la protection des lanceurs d’alerte, la redéfinition et l’extension de la qualification de lanceur d’alerte ainsi que la précision et la simplification de la procédure de signalement.

Elle visait dans le même temps le renforcement du rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte.

Ces lois sont entrées en vigueur le 1er septembre dernier.

S’agissant de la précision et de la redéfinition de la procédure de signalement, l’article 8 de la loi n° 2016-1691 modifiée renvoyait toutefois aux conditions fixées par décret en Conseil d’État.

Ce décret n° 2022-1284 du 03 octobre 2022 relatif aux procédures de recueil et de traitement des signalements émis par les laceurs d’alerte et fixant la liste des autorités externes instituées par la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte vient d’être publié[5]. Il abroge le décret n° 2017-564 du 19 avril 2017.

Il convient ici d’en commenter les principaux apports et leurs implications pour les collectivités et établissements publics concernés.

1.    En ce qui concerne les collectivités et établissements publics concernés par la mise en œuvre de la procédure

L’article 8 de la loi précise les personnes morales de droit public tenues d’établir une procédure interne de recueil et de traitement des signalements.

Il s’agit des personnes morales de droit public employant au moins cinquante agents, à l’exclusion des communes de moins de 10 000 habitants, des établissements publics qui leur sont rattachés et des établissements publics de coopération intercommunale qui ne comprennent parmi leurs membres aucune commune excédant ce seuil de population.

Le décret d’application précise quand et comment apprécier ce seuil de 50 agents. Aux termes de son article 2, ce seuil s’apprécie :

  • Pour les personnes morales de droit public employant des personnels dans les conditions du droit privé, à la clôture de deux exercices consécutifs et est déterminé selon les modalités prévues au I de l’article L. 130-1 du code de la sécurité sociale.
  • Pour les autres personnes morales de droit public, selon les modalités prévues pour le calcul des effectifs pris en compte pour la composition des comités sociaux ou des instances exerçant les attributions conférées aux comités sociaux.
  • Lorsque la personne morale de droit public emploie des personnels dans des conditions de droit privé et de droit public, selon les modalités prévues au 2 lorsque celles-ci prennent en compte les personnels de droit privé ou, à défaut, par le cumul des effectifs calculés respectivement selon les modalités prévues au 1 et au 2.

Il importe de rappeler qu’aux termes du B. de l’article 8 de la loi n° 2016-1691, les communes et leurs établissements publics membres d’un centre de gestion de la fonction publique territoriale gardent la possibilité de confier à celui-ci le recueil et le traitement des signalements internes, quel que soit le nombre de leurs agents.

2.    En ce qui concerne la procédure interne de recueil et de traitement des signalements

2.1       S’agissant du recueil du signalement et du processus général de traitement

Il est désormais expressément prévu que la procédure interne de recueil et de traitement des signalements soit adoptée après consultation des instances de dialogue social.

Cette procédure instaure un canal de réception des signalements qui permet aux lanceurs d’alerte d’adresser un signalement soit par écrit soit par oral. Ce canal de réception peut être géré en interne ou externalisé à un tiers, qui peut être une personne physique ou une entité de droit privé ou publique dotée ou non de la personnalité morale[6].

Si la procédure instaurée retient la possibilité d’un signalement oral, elle précise que ce signalement peut s’effectuer par téléphone ou par tout autre système de messagerie vocale et, sur la demande de l’auteur du signalement et selon son choix, lors d’une visioconférence ou d’une rencontre physique organisée au plus tard vingt jours ouvrés après réception de la demande.
La procédure doit prévoir que l’auteur du signalement est informé par écrit de la réception de son signalement dans un délai de sept jours ouvrés à compter de cette réception.

Au moment du recueil du signalement, il importe de vérifier que le signalement et la personne qui en est à l’origine peut recevoir la qualification de lanceur d’alerte telle que définie par l’article 6 de la loi n°2016-1691 et par conséquent les droits afférents. Un complément d’information peut alors être demandé à l’auteur du signalement en tant que de besoin.

En outre, si le signalement ne respecte pas lesdites conditions, l’auteur en est informé.

Le décret précise s’agissant des signalements anonymes que leur recueil et leur traitement doit être précisé par la procédure. Rappelons sur ce point qu’il résulte des dispositions de l’article 7-1 de la loi n° 2016-1691 que le signalement anonyme ne saurait par principe être rejeté. Tout au plus limite-t-il intrinsèquement la possibilité de mettre en œuvre les mécanismes de protection et d’information du lanceur d’alerte, en tous les cas, tant que son identité n’est pas révélée.

Une fois cette étape de vérification acquise, l’entité publique en charge du recueil du signalement assure son traitement.

Elle peut à ce titre demander tout complément d’information à l’auteur du signalement afin notamment d’évaluer l’exactitude des allégations et faits signalés.

Lorsque les allégations lui paraissent avérées, elle doit mettre en œuvre les moyens à sa disposition pour remédier à l’objet du signalement.La procédure doit en outre prévoir au titre de son économie générale, une phase de retour d’information à l’auteur du signalement, les informations sur les mesures envisagées et/ou prises pour évaluer l’exactitude des allégations et, le cas échéant, remédier à l’objet du signalement.

Cette information doit se faire par écrit et dans un délai raisonnable qui ne saurait excéder trois mois à compter soit de l’accusé de réception du signalement soit de l’expiration d’une période de sept jours ouvrés suivant le signalement.

Lorsque les allégations sont inexactes ou infondées, ou lorsque le signalement est devenu sans objet, la collectivité ou l’établissement public procède à la clôture du signalement.

En toute hypothèse, la procédure doit prévoir que l’auteur du signalement est informé par écrit de la clôture du dossier.

  • S’agissant des personnes ou services désignés pour le recueil et le traitement du signalement

La procédure de recueil et de traitement du signalement réalisé par un lanceur d’alerte doit désormais indiquer soit la ou les personnes soit le ou les services désignés par l’autorité d’emploi pour recueillir et traiter les signalements. Ces personnes ou services peuvent varier dans le temps et être par exemple fonctions des circonstances du signalement différents sous réserve qu’une telle hypothèse soit expressément prévue et, selon nous, motivée dans la procédure.

Le référent déontologue peut être au nombre de ces personnes.

Il importe de veiller, en amont d’une telle désignation, à ce que les personnes ou services désignés disposent, par leur positionnement ou leur statut, de la compétence, de l’autorité et des moyens suffisants à l’exercice de leurs missions, mais aussi et surtout led garanties permettant l’exercice impartial de ces missions.

C’est en ce sens qu’il semble important de davantage raisonner à l’échelle d’un service qu’à celui d’une personne et de prévoir, en tout état de cause, les modalités d’une désignation subsidiaire en cas de déport de l’une des personnes habituellement en charge du recueil et du traitement des signalements des lanceurs d’alerte.

Contrairement à la procédure externe, le décret ne prévoit pas pour la procédure interne de formation des personnes désignées assurée ou financée par l’autorité d’emploi afin de leur permettre d’exercer pleinement leur mission. Bien entendu, rien ne s’oppose à une telle formation laissée dès lors à discrétion des employeurs publics concernés.

  • S’agissant de la confidentialité

L’enjeu majeur du recueil et du traitement d’un signalement effectué par un lanceur d’alerte porte sur la garantie d’une stricte confidentialité de l’identité des auteurs du signalement, des personnes visées par celui-ci ou de de tout tiers mentionné dans le signalement et les informations recueillies[7].

Il importe de souligner qu’il s’agit ici d’un enjeu de confidentialité et non de secret dès lors qu’une telle notion priverait de toute portée la mise en œuvre d’une procédure de traitement du signalement.

Partant, des informations relatives au signalement peuvent être amenées à être communiquées en lien avec la nécessité de comprendre, contextualiser et traiter le signalement.

C’est en ce sens que le décret n° 2022-1284 du 03 octobre 2022 vient encadrer[8] la confidentialité entourant le signalement effectué par un lanceur d’alerte afin que ces hypothèses de communication soient strictement encadrées.

Ainsi, la procédure mise en place dans les collectivités et établissements à qui elle s’impose doit garantir l’intégrité et la confidentialité des informations recueillies dans un signalement, notamment l’identité de l’auteur du signalement, des personnes visées par celui-ci et de tout tiers qui y est mentionné. La procédure doit expressément interdire l’accès à ces informations aux membres du personnel qui ne sont pas autorisés à en connaître en tant qu’elles ne font pas parties des personnes désignées pour ce faire. Seules ces personnes doivent recevoir transmission du signalement et des informations communiquées. Une communication à des tiers est envisageable mais uniquement si cette communication est nécessaire et toujours dans le respect du principe relatif à la confidentialité, tel que prévu par l’article 9 de la loi n°2016-1691.

De manière plus précise, la procédure doit prévoir que tout signalement effectué oralement est consigné de la manière suivante :

  • Lorsqu’il est recueilli, avec le consentement de son auteur, sur une ligne téléphonique enregistrée ou sur un autre système de messagerie vocale enregistré, soit en enregistrant la conversation sur un support durable et récupérable, soit en la transcrivant de manière intégrale ;
  • Lorsqu’il est recueilli sur une ligne téléphonique non enregistrée ou sur un autre système de messagerie vocale non enregistré, en établissant un procès-verbal précis de la conversation ;
  • Lorsqu’il est recueilli dans le cadre d’une visioconférence ou d’une rencontre physique, en établissant, avec le consentement de son auteur, soit un enregistrement de la conversation sur un support durable et récupérable, soit un procès-verbal précis.

En toute hypothèse, l’auteur du signalement doit avoir la possibilité de vérifier, de rectifier et d’approuver la transcription de la conversation ou le procès-verbal par l’apposition de sa signature.

Le décret précise que les enregistrements, transcriptions et procès-verbaux ne peuvent être conservés que le temps strictement nécessaire et proportionné au traitement du signalement et à la protection de leurs auteurs, des personnes qu’ils visent et des tiers qu’ils mentionnent.

Cette prescription n’est enserrée dans aucun délai, mais les entités publiques devront se poser la question de la nécessité et de la proportionnalité des modalités d’archivage prévues dans leurs procédures, en prenant notamment en compte d’autres délais comme celui de la prescription triennale en matière disciplinaire par exemple.

  • S’agissant de la communication relative à la procédure mise en place

La collectivité ou l’établissement public diffuse en son sein par tout moyen assurant une publicité suffisante, la procédure mise en œuvre pour recueillir puis traiter les signalements effectués par les lanceurs d’alerte.

Cette communication doit en outre mettre à disposition des agents des collectivités ou des établissements publics de manière claire et facilement accessible, les modalités de signalement externe encadrées par les dispositions du II. de l’article 8 de la loi n°2016-1691, faculté désormais offerte au lanceur d’alerte de manière alternative et non plus subsidiaire.

 

3. En ce qui concerne la procédure de recueil et de traitement des signalements par les autorités externes

C’est le chapitre II du décret n°2022-1284 qui encadre la procédure de signalement auprès des autorités externes.

Les dispositions des articles de ce chapitre II n’apportent que très peu d’éléments spécifiques relatifs aux modalités de la procédure de recueil et de traitement des signalements. Ces modalités sont donc en majeure partie superposables aux modalités ci-avant détaillées et commentées au titre du signalement interne.

Ainsi, la désignation des personnes en charge du recueil et du traitement du signalement diffère, le décret ne prévoyant pour les autorités externes que la désignation de personnes et non plus de services, outre le fait que celles-ci reçoivent une formation assurée ou financée par ladite autorité, destinée à leur permettre d’exercer pleinement leur mission.

En outre, s’agissant de la communication relative à l’existence de la procédure au sein des autorités désignées et à sa mise en œuvre, l’article 13 prescrit une communication publique étendue et impose auxdites autorités la communication d’un rapport annuel au Défenseur des droits en la matière.

Enfin, contrairement aux procédures internes, il est inséré un réexamen tri-annuel des procédures de recueil et de traitement des signalements.

Les apports du chapitre II du décret tiennent essentiellement à la liste des autorités mentionnées au 1° du II de l’article 8 de la loi n°2016-1691.

Aux termes d’une annexe audit décret, les autorités suivantes peuvent par exemple être dépositaires d’un signalement externe réalisé par un lanceur d’alerte (pour la liste exhaustive, le lecteur est renvoyé à l’annexe du décret[9]) :

  • Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ;
  • Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) ;
  • Agence nationale de santé publique (Santé publique France, SpF) ;
  • Haute Autorité de santé (HAS) ;
  • Agence de la biomédecine ;
  • Établissement français du sang (EFS) ;
  • Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) ;
  • Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ;
  • Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) ;
  • Conseil national des ordres des professions de santé
  • Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ;
  • Direction générale des finances publiques (DGFIP), pour la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée ;
  • Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), pour les pratiques anticoncurrentielles ;
  • Direction générale des finances publiques (DGFIP), pour la fraude à l’impôt sur les sociétés ;
  • Direction générale du travail (DGT) ;
  • Défenseur des droits.
  • (…)

Il importe enfin de noter qu’à la liste des autorités encadrées par le décret commenté s’ajoute les autorités externes prévues directement par la loi[10] telle que l’autorité judiciaire.

Les lois du 21 mars 2022 relatives à la protection des lanceurs d’alerte ont significativement modifié le dispositif de qualification et de protection de ces derniers. Le décret d’application n° 2022-1284 du 03 octobre 2022 ici commenté précise utilement le dispositif de signalement et de traitement de l’alerte, en fixant un cadre particulièrement détaillé à la procédure qui doit être définie.

Il importe que les collectivités et les établissements publics concernés puissent prendre en compte ces dispositions pour établir ou adapter leurs procédures internes existantes afin de pouvoir recueillir et traiter de manière régulière tous les signalements dont ils sont dépositaires lorsque la personne signalant se prévaut de la condition de lanceur d’alerte avec toutes les conséquences de droit qui s’y rattachent.

 

Pour aller plus loin :

Les lois :

https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045388740

https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045388745

Le décret :

https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046357368

[1] Loi n°2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte et Loi n°2022-400 du 21 mars 2022 visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte

[2] Directive UE n°2019/1937 du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’union

[3] Loi n°2016-1691 du 09 décembre 2016, articles 6 à 16

[4] Voir ici notre article Lanceur d’alerte : le dispositif évolue, https://cabinet-coudray.fr/lanceurs-dalerte-le-dispositif-evolue/

[5] JORF n°0230 du 04 octobre 2022

[6] En application de l’article 7 du décret

[7] En application des dispositions de l’article 9 de la loi n°2016-1691

[8] En application de l’article 6 du décret.

[9] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046357368

[10] En application du II de l’article 8 de la loi n°20161691

Cabinet Coudray Publié le 11/10/2022 dans # Publications