11mars 2025

Si le stage préalable à la titularisation d’un agent est destiné à lui permettre de prouver sa capacité à assumer les fonctions qui lui seront confiées, il est possible que des faits, antérieurs à ce stage, révèlent son insuffisance professionnelle, et justifient alors un refus de titularisation.

Tel est le sens d’un très récent arrêt du Conseil d’État qui censure l’arrêt de la Cour administrative d’appel de PARIS, laquelle avait considéré que les faits en cause étaient constitutifs de fautes disciplinaires et ne pouvaient donc pas valablement fonder un refus de titularisation.

Le Tribunal administratif d’abord, la Cour administrative d’appel ensuite, avaient en effet jugé que la découverte de faits susceptibles d’être qualifiés de fautes, antérieurs au recrutement de l’agent, pendant sa période de stage, ne pouvait donner lieu qu’à l’engagement d’une procédure disciplinaire :

« 2. Un agent public ayant, à la suite de son recrutement ou dans le cadre de la formation qui lui est dispensée, la qualité de stagiaire, se trouve dans une situation probatoire et provisoire. La décision de ne pas le titulariser en fin de stage est fondée sur l’appréciation portée par l’autorité compétente sur son aptitude à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé et, de manière générale, sur sa manière de servir. Pour apprécier la légalité d’une décision de refus de titularisation, il incombe au juge de vérifier qu’elle ne repose pas sur des faits matériellement inexacts, qu’elle n’est entachée ni d’erreur de droit, ni d’erreur manifeste dans l’appréciation de l’insuffisance professionnelle de l’intéressé, qu’elle ne revêt pas le caractère d’une sanction disciplinaire et n’est entachée d’aucun détournement de pouvoir et que, si elle est fondée sur des motifs qui caractérisent une insuffisance professionnelle mais aussi des fautes disciplinaires, l’intéressé a été mis à même de faire valoir ses observations.

3. Il en va autrement lorsque la décision a été prise non au vu du comportement de l’intéressé durant son stage mais en raison de la découverte, au cours de la période de stage, de faits antérieurs à cette dernière. Dans un tel cas, lorsque l’administration estime que ces faits, antérieurs à la nomination d’un fonctionnaire mais portés ultérieurement à sa connaissance, révèlent, par leur nature et en dépit de leur ancienneté, une incompatibilité avec le maintien de l’intéressé dans la fonction publique, il lui revient, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, d’en tirer les conséquences en engageant une procédure disciplinaire en vue de procéder, à raison de cette incompatibilité, à la révocation de ce fonctionnaire.» (TA PARIS, 28 juin 2023, n° 2127061)

« 7. Il résulte des pièces du dossier, et notamment des écritures sur ce point du CNRS en l’absence de motivation de la décision attaquée, que la décision de procéder au licenciement de Mme B a pour fondement non pas une insuffisance professionnelle constatée pendant la durée de son stage, mais exclusivement des faits commis antérieurement à son stage, à savoir des publications ne respectant pas les règles scientifiques et déontologiques de citation des sources, qui ont été considérés comme ayant un caractère fautif et que le CNRS a entendu sanctionner à titre exclusivement disciplinaire en prononçant son licenciement. Dès lors qu’il est constant que l’ensemble de la procédure disciplinaire n’a pas été mise en œuvre avant le licenciement de Mme B, le CNRS n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont, pour ce motif, annulé la décision attaquée du 29 juin 2021. » (CAA PARIS, 6 mars 2024, n° 23PA03301)

De solides arguments militaient en effet en faveur de l’impossibilité d’une prise en compte de faits fautifs, antérieurs au stage de l’agent, pour fonder un refus de titularisation.

Le stage est effectivement destiné à éprouver la capacité professionnelle de l’agent. La prise en compte d’éléments qui lui sont étrangers pour apprécier cette capacité pourrait lui faire perdre sa raison d’être.

De plus, ainsi que le juge administratif l’a encore récemment rappelé, la procédure disciplinaire offre des garanties procédurales à l’agent concerné, que ne lui offre pas la procédure de licenciement en fin de stage.

Toutefois, des agissements de l’agent peuvent être fautifs mais également révéler que celui-ci a un comportement général et une manière de servir le rendant inapte à exercer les fonctions correspondant au grade.

Dans cette situation, les faits concernés sont les mêmes, mais l’angle sous lequel ils sont regardés par l’employeur change : ceux-ci ne témoignent plus d’une faute mais révèlent surtout l’incapacité professionnelle de l’agent.

En jugeant que les faits reprochés à l’agent stagiaire n’étaient pas seulement fautifs mais révélaient également son inaptitude aux fonctions qu’il avait vocation à assumer, cet arrêt s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence antérieure (CE, 24 février 2020, n° 421291).

Toutefois, et c’est là l’apport de cet arrêt, la seule circonstance que ces faits soient antérieurs à la période de stage de l’agent n’est pas de nature à justifier qu’ils ne puissent pas être pris en compte pour déterminer son aptitude professionnelle :

« 6. La seule circonstance que les faits établissant l’insuffisance professionnelle de l’agent à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé soient antérieurs à la période du stage n’est pas de nature à faire obstacle à ce qu’ils justifient une décision de refus de titularisation.

7. Dès lors, en jugeant que les faits reprochés à Mme B, consistant en de graves manquements aux obligations déontologiques de citations des sources de ses articles scientifiques, qui sont susceptibles de révéler une insuffisance professionnelle, ne pouvaient justifier légalement un refus de titularisation au seul motif qu’ils étaient antérieurs à la période de stage, pour en déduire que la décision contestée revêtait un caractère exclusivement disciplinaire et était illégale, la cour a commis une erreur de droit.

8. Si, dans son mémoire en défense, Mme B soutient que la décision contestée du CNRS serait irrégulière car prise sans qu’elle ait été mise à même de faire valoir ses observations, ce motif comporte une appréciation des circonstances de fait qui fait obstacle à ce qu’il soit substitué, par le juge de cassation, à celui retenu par le juge du fond pour justifier le dispositif de l’arrêt attaqué.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, que le CNRS est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque. » (CE, 12 février 2025, 494075)

Par cette décision, le juge administratif éclaircit encore les rapports entre, d’une part, les faits antérieurs au recrutement de l’agent et, d’autre part, l’alternative entre la détermination de l’aptitude professionnelle et le besoin d’initier une procédure disciplinaire.

La détermination de l’aptitude d’un agent stagiaire pour exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé peut ainsi se fonder sur des faits antérieurs à son entrée en stage.

Dans cette hypothèse, il convient de demeurer prudent : il faut que de tels faits participent effectivement à la détermination de l’aptitude de cet agent stagiaire.

À défaut, et si de tels faits ont exclusivement une qualification disciplinaire, l’employeur public doit engager une procédure disciplinaire en vue de procéder à sa révocation si ceux-ci révèlent une incompatibilité avec son maintien dans la fonction publique (CE, 3 mai 2023, n° 438248).

Cabinet Coudray
François MARANI
Publié le 11/03/2025 dans # Veille juridique