La loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification, dite « 3DS » a eu impact dans de nombreux domaines d’activité des collectivités territoriales. C’est le cas notamment des documents d’urbanisme, du régime juridique des chemins ruraux ou encore de l’encadrement des abattages d’arbres d’alignement. Cette loi 3DS a également organisé, de façon nettement plus discrète, un régime juridique pour les métaux issus de la crémation des défunts.
Jusqu’alors, le code général des collectivités territoriales confiait aux communes, aux intercommunalités et aux métropoles la compétence pour créer et gérer les crématoriums. De même, ce code fixait le régime juridique des cendres des défunts. Cependant, aucune solution générale ne paraissait applicable aux métaux issus de la crémation. Partant, c’est un autre aspect du service public funéraire qui est ici interrogé car l’or dentaire, le titane des prothèses récentes, le cobalt des prothèses plus anciennes ou en acier inoxydable ne sont pas calcinés.
Si ces métaux pouvaient être récupérés par l’exploitant d’un incinérateur ou par certaines sociétés sous-traitantes spécialisées, cette information demeurait bien souvent inconnue des proches des défunts, autorisant les interrogations, les doutes voire les contestations dans ce domaine extrêmement délicat. C’est afin d’en fixer le régime juridique que le projet de loi 3DS a été enrichi d’un amendement lors de son examen au Sénat, saisi en premier par le Gouvernement.
Suivant cet amendement, un nouvel article du code général des collectivités territoriales ainsi rédigé était proposé :
« Sauf volonté contraire et non équivoque exprimée dans le contrat prévoyant des prestations d’obsèques à l’avance ou dans un écrit adressé à l’opérateur funéraire avant la crémation et visant à ce que les métaux éventuellement issus de la crémation soient remis à l’issue de celle-ci à la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, ces métaux font l’objet d’une récupération par le gestionnaire du crématorium pour cession, à titre gratuit ou onéreux, en vue du traitement approprié pour chacun des métaux. »
Une solution générale, la récupération des métaux par le gestionnaire du crématorium à certaines fins d’intérêt général, coexistait dans cette version avec une exception : la possibilité pour le défunt ou ses proches de s’y opposer, ceux-ci devant, en toute hypothèse les récupérer.
Le sort de ces métaux était, là encore, utilement précisé. Récupérés, ils devaient être ensuite vendus et le produit de cette vente dédié à deux seules fins :
« Le produit éventuel de la cession prévue au précédent alinéa est inscrit en recette de fonctionnement au sein du budget du crématorium où les métaux ont été recueillis et peut :
– financer la prise en charge des obsèques des personnes dépourvues de ressources suffisantes mentionnées à l’article L. 2223-27 ;
– faire l’objet d’un don auprès d’une association d’intérêt général ou d’une fondation reconnue d’utilité publique. »
Toutefois, l’Assemblée nationale a modifié substantiellement ce nouvel article. Ne prenant appui que sur le cas des dispositifs médicaux métalliques et de la possible méconnaissance, par la famille du défunt, de leur quantité et de leur composition, la rapporteure du projet de loi a considéré qu’il y avait lieu de supprimer l’exception prévue par l’amendement.
Adopté dans ces termes par la commission mixte paritaire, le nouvel article L. 2223-18-1-1 du code général des collectivités territoriales prévoit donc seulement un régime général et unique de récupération des métaux par l’opérateur du crématorium, l’affectation du produit de leur vente aux fins énumérées, une information renforcée s’y adjoignant :
« I.- Sans considération de leur origine, les métaux issus de la crémation ne sont pas assimilés aux cendres du défunt. Ces métaux font l’objet d’une récupération par le gestionnaire du crématorium pour cession, à titre gratuit ou onéreux, en vue du traitement approprié pour chacun d’eux.
II.- Le produit éventuel de la cession prévue au I est inscrit en recette de fonctionnement au sein du budget du crématorium où les métaux ont été recueillis. Ce produit éventuel ne peut être destiné qu’aux opérations suivantes :
1° Financer la prise en charge des obsèques des personnes dépourvues de ressources suffisantes, mentionnées à l’article L. 2223-27 ;
2° Faire l’objet d’un don à une association d’intérêt général ou à une fondation reconnue d’utilité publique.
III.- Les dispositions des I et II figurent sur tout document de nature contractuelle prévoyant la crémation du défunt et sont affichées dans la partie des crématoriums ouverte au public. »
C’est à l’occasion de la contestation du refus d’abroger le décret d’application n° 2022-1127 du 5 août 2022 que le Conseil d’État a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre ce nouvel article L. 2223-18-1-1 du code général des collectivités territoriales. Dans son arrêt n° 472830 du 11 octobre dernier, le Conseil d’État a donc accepté de transmettre au Conseil constitutionnel cette question prioritaire de constitutionnalité en ce que ce régime juridique est susceptible de porter atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, découlant du premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et au droit de propriété.
Plusieurs aspects du régime juridique de ces métaux peuvent en effet être interrogés à l’occasion de cette QPC :
Suivant l’article 23-10 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, le Conseil constitutionnel dispose de trois mois à compter de sa saisine pour répondre à ces questions. À cette occasion, il devra déterminer si le principe déjà énoncé par l’article 16-1-1 du code civil – selon lequel « Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence » – a également une valeur constitutionnelle et d’en tirer toutes les conséquences à l’égard de l’organisation du service public funéraire.